Il y a un an, le 11 juillet 2021, on assistait à une explosion sociale à Cuba à cause des troubles économiques, sociaux et politiques accumulés dans un contexte de crise sanitaire. Ces mobilisations ont soulevé une fois de plus les grandes interrogations sur le socialisme et la démocratie dans l’île. Pour renouveler le socialisme, il faut développer un projet qui articule les oppressions transversales, critiquer les expériences historiques et s’appuyer sur des mobilisations populaires, souvent d’une grande force, mais qui se heurtent à l’absence d’issue, de perspectives politiques émancipatrices. Nous devons comprendre pourquoi. Pour cela, Rolando Prats, écrivain et traducteur cubain, s’est entretenu avec Janette Habel à Paris et à New York et a traduit l’interview de son original en français. Les notes sont du traducteur [JacobinLat]

Comme pour beaucoup d’autres observateurs et analystes, pour vous les événements du 11 juillet 2021 à Cuba ont été un « déchaînement », une « révolte » sociale qui a marqué un « avant » et « après ». Cependant, dans ce cas, il y a une tendance à transformer les effets en causes. On pourrait parfaitement imaginer que sans le maintien par Biden de la politique de blocus intensifiée au maximum par Trump, et sans la pandémie de COVID-19 (à mon sens, les deux causes absolument décisives de la situation dans laquelle se trouvait le pays ce 11 juillet et, j’ose dire, peut-être les seuls), de tels événements n’auraient pas eu lieu.

Que vous soyez d’accord ou non avec cette hypothèse, pourriez-vous préciser quelles sont, pour vous, les causes qui expliquent la révolte du 11 juillet 2021 et ses possibles effets à long terme, au-delà des arrestations, des poursuites judiciaires et des condamnations ?

Nul doute, le maintien par Joe Biden des sanctions et du durcissement de l’embargo décidé par Trump est l’une des causes fondamentales de l’aggravation de la pauvreté et des difficultés de la situation économique et sociale, auxquelles s’est ajoutée la pandémie de COVID-19.

Bien que ces facteurs aient été décisifs dans les manifestations du 11 juillet à Cuba, ils ne sont pas les seuls. Il en est d’autres, de nature plus structurelle, qui remontent à une époque antérieure, et qui sont la conséquence d’erreurs politiques et économiques.

Les réformes économiques de marché introduites et approfondies par Raúl Castro ont entraîné de profonds changements dans la société cubaine. La « mise à jour du socialisme » et sa « conceptualisation », postulées dans les congrès du PCC, ne se sont pas accompagnées de réformes politiques, d’une démocratisation du système institutionnel à parti unique hérité de l’ex-Union soviétique. Cela ne signifie pas que le système de parti unique peut être aboli, du moins tant que la terrible pression exercée par Miami et par l’administration américaine se poursuivra.

Mais si ces réformes économiques étaient indispensables face à la stagnation et aux échecs de l’économie cubaine, il était clair qu’elles conduiraient à une augmentation des inégalités contraire aux traditions de solidarité de la Révolution. Pour être maîtrisé, ce changement de stratégie économique aurait dû se faire de manière transparente, en expliquant les contradictions du processus et tout ce qui était en jeu. Ce qui impliquait de mettre fin aux entraves et aux contraintes bureaucratiques.

Cependant, rien n’a été fait à cet égard. Pire encore, même l’indispensable unification monétaire a été réalisée au moment le moins propice, en pleine pandémie, selon des modalités préjudiciables à la population, avec des hausses inconcevables des prix des biens de première nécessité et avec des mesures qui ont provoqué une division profonde entre les Cubains qui avaient des devises et ceux qui n’en avaient pas (sur laquelle je reviendrai plus tard).

Cependant, ces réformes coïncident avec des changements sociopolitiques et des ruptures générationnelles. Enclenchés depuis de nombreuses années, ces changements ont été sous-estimés et non pris en compte par les dirigeants du pays. Tout d’abord, les changements générationnels. Depuis 1959, depuis le triomphe de la Révolution, il y a eu au moins trois ou quatre générations qui, surtout depuis l’effondrement de l’Union soviétique, n’ont connu que crise après crise. Pour la jeunesse, la lutte contre la dictature de Batista appartient au passé.

Les acquis de la Révolution, les conquêtes sociales, l’éducation et la santé, étaient pour les générations plus âgées des éléments très importants de soutien à Fidel Castro et à son gouvernement. Mais bon nombre de ces éléments ont été considérablement affaiblis depuis l’effondrement de l’Union soviétique. Depuis, les crises n’ont pas cessé. Il y a des difficultés de toutes sortes, qui se matérialisent, par exemple, dans le plan logement. De nombreux jeunes sont contraints de vivre avec leur famille. Les services de santé se détériorent, malgré le fait que Cuba disposait autrefois d’un système de santé publique vraiment extraordinaire; avec la crise, avec la disparition de l’URSS, les ressources allouées à la santé sont restreintes. Ces changements touchent ces nouvelles générations qui n’ont pas la même histoire, les mêmes références que leurs parents. C’est un phénomène classique et universel. Cette différence générationnelle implique une différence de pensée, une différence de perception, une différence culturelle.

Le deuxième aspect, très important, est que les aspirations et les débats politiques ne tiennent pas compte des restrictions et des limites à la démocratie qui existent à Cuba. Il y a une très grande contradiction à laquelle est confrontée une génération éduquée, éduquée par la Révolution. Le discours public, les médias, la politique éditoriale et la politique culturelle sont contraints par une censure qui ne permet pas le débat.

Les nouvelles générations sont diplômées de l’enseignement secondaire ou supérieur, leur scolarité et leur formation leur ont permis d’accéder à des emplois qualifiés, beaucoup de jeunes aujourd’hui sont des cadres professionnels, ce qui marque une grande différence avec la situation d’avant la Révolution, avec la génération qui a fait la Révolution, dont certains cadres manquaient de formation et d’un niveau scolaire au-delà du primaire. La génération bien éduquée d’aujourd’hui est confrontée à la rigidité politique et à des pratiques culturelles dépassées. Les échanges qui ont eu lieu autour de la nouvelle Constitution témoignent de ces revendications.

Il ne faut pas oublier que Cuba est un pays d’Amérique latine et que ses échanges avec l’Amérique latine sont constants. La jeunesse cubaine, les nouvelles générations, est au courant des débats théoriques, des débats idéologiques, des débats politiques latino-américains et européens. Au niveau officiel, les causes de l’implosion de l’Union soviétique n’ont jamais vraiment été analysées. Le système soviétique n’a jamais été critiqué et les difficultés que connaissait l’URSS depuis un certain temps ont été ignorées. L’effondrement de l’URSS a produit un choc terrible, qui s’est accompagné d’un grand malentendu, notamment en raison de l’extrême gravité de la crise économique qui a suivi la rupture des échanges économiques avec Moscou. En guise d’explication, on a même insinué qu’il y avait eu un complot, que la CIA aurait bien pu être derrière tout ça.

Mais les maux de la société soviétique, héritage du stalinisme, ont été ignorés. On n’a jamais expliqué pourquoi le peuple soviétique n’était pas descendu dans la rue pour défendre le régime. Pourtant, on savait qu’en Union Soviétique ça allait mal, on savait qu’il y avait de plus en plus de problèmes, comme on savait qu’en URSS le parti avait fait du marxisme un dogme doctrinal. Mais à Cuba, apparemment, ils ne savaient pas. Et rien de tout cela n’a été analysé au profit des nouvelles générations, des masses populaires. Ce qui était une erreur extrêmement grave, car certains des éléments politiques qui avaient conduit à l’effondrement de l’Union Soviétique, certaines des causes institutionnelles de cet effondrement, ont également affecté Cuba.

Selon le discours officiel, le système soviétique avait été « trop ​​copié », mais il n’était pas clair ce qui avait été « copié » et ce qu’il fallait alors aussi changer à Cuba, face aux difficultés économiques et politiques des difficultés. Tout cela a semé la confusion, la démoralisation et le scepticisme quant à l’avenir du socialisme cubain parmi les cadres politiques, les intellectuels et les militants du PCC.

Les problèmes de la transition vers le socialisme, les difficultés de Cuba, sont à l’ordre du jour. Ils font l’objet d’analyses diverses et suscitent des interrogations, compte tenu des réformes économiques adoptées et de leurs conséquences sociales. Quelle place doit occuper le marché, quelle doit être la planification, quel type de démocratie ? Les médias font peu ou pas écho de ces débats, qui se tiennent principalement sur de nombreux blogs et plateformes numériques, en dehors des circuits officiels.

Dans votre article « Cuba, 11 juillet 2021, « un avant » et « un après » » vous dites : « Depuis l’explosion sociale du 11 juillet 2021 à Cuba, les interprétations des événements obéissent davantage aux présupposés idéologiques des auteurs qu’à une analyse géopolitique. Dans une autre partie de votre article, vous qualifiez la Révolution cubaine de « paradoxe géopolitique ». Avant, à d’autres endroits, vous avez décrit cette révolution comme une « anomalie géopolitique ».

Je suis d’accord avec toi sur les deux points. Ne pensez-vous donc pas que le talon d’Achille (et son propre mécanisme interne d’auto-délégitimation) de toute contestation – organisée ou non – de l’état des choses à Cuba ou, plus directement, du système lui-même, de ses figures et de ses institutions, continue d’être ce mélange d’ignorance, d’irresponsabilité et même d’opportunisme géopolitique d’au moins une bonne partie de cette réponse ? Ou pensez-vous plutôt que des voix ou des collectifs ont déjà émergé à Cuba capable de briser le cercle vicieux qui, depuis des décennies, fait de toute opposition interne un allié de facto de la contre-révolution historique et des desseins impériaux des États-Unis ?

Effectivement. Je pense que pendant des décennies, les voix critiques de ceux qui ont défendu les acquis de la Révolution ont été prises entre la nécessité de défendre la Révolution, de ne pas l’affaiblir, et en même temps de critiquer et de corriger les erreurs – parfois graves – qui ont été commises . C’est une question décisive dans les débats qui se déroulent en Europe occidentale, notamment en France. Il y a une incompréhension, une ignorance des problèmes, des contradictions auxquelles la Révolution cubaine a dû faire face.

Ces problèmes sont liés à ce que j’ai décrit comme une anomalie géopolitique. Une révolution socialiste née à 200 kilomètres des côtes des États-Unis, de son flanc sud, de son périmètre de sécurité, à la frontière de ce qui, tout au long de l’histoire, a été le terrain de chasse, l’arrière-cour des États-Unis, des gouvernements de ce pays. Ce qui ne pouvait être qu’un défi absolument extraordinaire.

Pour ne rien arranger, sur une île, une île de six millions d’habitants, qui ne dispose pas de grandes ressources, où la monoculture du sucre dépendait du marché américain. Au début de la Révolution, en plus du sucre, il y avait du tabac, du café et du nickel. Le sucre, principale ressource, dépendait du commerce avec les États-Unis. C’est le Congrès des États-Unis qui a déterminé les quotas et fixé les prix du sucre cubain. Une terrible dépendance économique qui s’est greffée sur la dépendance néocoloniale dans laquelle se trouvait Cuba au XXe siècle ; d’où une très forte aspiration à la souveraineté nationale. Il ne faut pas oublier que Cuba a obtenu son indépendance très tardivement par rapport au reste de l’Amérique Latine.

En pleine guerre froide, la Révolution doit faire face à l’agression impériale. Pour ce faire, il rejoint ce qu’on appelait alors le camp socialiste. La Révolution bénéficiait d’un soutien populaire écrasant, mais sa survie dépendait surtout de l’aide de l’Union Soviétique. La sardine face au requin, comme dit la fable. Compte tenu de la corrélation des forces, au début, la possibilité que, dans des conditions normales, cette révolution survive était presque inexistante. La direction révolutionnaire exceptionnelle qui avait vaincu la dictature devait faire face à des défis stratégiques, des défis géopolitiques.

Dans ce contexte, la possibilité d’une survie à long terme de la Révolution impliquait la nécessité d’autres révolutions pour l’accompagner en Amérique latine. Cela a été compris par les dirigeants cubains, notamment Fidel Castro et Che Guevara. C’était le sens des deux Déclarations de La Havane. La Cordillère des Andes allait devenir la Sierra Maestra latino-américaine. C’était un appel à l’insurrection. Par conséquent, une aide a été accordée à l’insurrection latino-américaine, parce que les dirigeants cubains comprennent qu’ils ne peuvent pas marcher seuls. Se défendre seul était difficile et l’aide qu’ils recevaient de l’Union Soviétique et de la Chine n’était pas sans compromis, des compromis politiques qui se révéleront problématiques au fil des ans.

Quand on parle de Cuba, de ses difficultés actuelles, de son évolution après six décennies de Révolution, il faut commencer par analyser tout cela. Il est évident que l’on peut parler dans ce cas d’un talon d’Achille, d’une terrible faiblesse. C’est pourquoi il faut contextualiser, expliquer, ce qui ne veut pas dire qu’il faut donner le sceau d’approbation à la direction, que personne ne doit être acquitté.

Il y a des erreurs qui ne sont pas une conséquence de l’embargo américain, qui sont le produit de l’héritage du système soviétique. L’aide de l’URSS a été décisive au début de la Révolution, mais à la longue c’est un désastre. Moscou avait un intermédiaire politique à Cuba et cet intermédiaire était très puissant. Le Parti Socialiste Populaire (PSP), c’est-à-dire l’ancien parti communiste cubain, avait des militants, des cadres, un appareil politique expérimenté, une organisation structurée, ce qui n’était pas le cas du Mouvement du 26 juillet. Le PSP a importé à Cuba des pratiques politiques inspirées du stalinisme, dont les conséquences se sont fait sentir lors de l’effondrement de l’Union Soviétique.

Pourtant, à Cuba, au niveau officiel, il n’y a jamais eu d’analyse de l’équilibre du stalinisme. Ce qui explique beaucoup d’erreurs. Cependant, les crises qui ont eu lieu au début de la Révolution par rapport au PSP auraient pu permettre à ces processus de s’approfondir. La soi-disant crise du sectarisme, la microfraction, le procès de Marcos Rodríguez… étaient autant d’occasions partiellement perdues, qui ont été réduites à des épisodes circonstanciels dans lesquels les responsabilités individuelles ont été résolues, sans enquêter sur les causes structurelles de ces actions.

Pour répondre à la deuxième partie de votre question, il y a aujourd’hui une volonté de réflexion historique et politique de la part de militants, de responsables politiques, d’intellectuels, une analyse, une enquête critique afin de se libérer de ces fardeaux, d’abandonner cet héritage négatif. Il est cependant très regrettable qu’il n’ait pas été possible de faire la distinction entre une dissidence désireuse de s’aligner sur les intérêts du gouvernement des États-Unis, d’une part, et, d’autre part, l’expression critique de la classe politique et culturel des nouvelles générations qui ont révélé la nécessité d’opérer des changements dans le système politique et institutionnel.

Des changements devront être apportés à ce système sans oublier les restrictions et les limites que les sévères sanctions américaines imposent à la démocratie. Sauf que ces sanctions ne justifient l’exclusion d’aucun professeur de l’université parce qu’il ne suit pas la ligne du Parti, comme l’a dit un jour le vice-ministre de l’Enseignement supérieur. Selon elle, vous ne pouvez pas être enseignant si vous n’êtes pas d’accord avec la ligne du Parti ! Ce qui est une aberration totale. Les sanctions contre certains artistes sont également condamnables. Ce n’est pas par des actes de répression qu’il faut régler les différends politiques (tant qu’ils ne sont pas violents). Le fait que ces analyses n’aient pas été faites explique pourquoi beaucoup de jeunes aujourd’hui identifient le socialisme avec le manque de liberté, avec la répression.

Pour continuer en citant votre article, lorsque vous dites qu’« au fil des ans, la société cubaine s’est diversifiée socialement et culturellement [et] est devenue politiquement fragmentée », vous touchez à un sujet qui est devenu presque un article de foi pour ceux qui , de tel ou tel autre point de vue idéologique ou politique, ne voient pas d’alternative à la fatalité de changements qui iraient bien au-delà des réformes en cours ou possibles dictées par la nécessité de résister, de survivre et de surmonter la crise.

Ailleurs, j’ai évoqué le fait que cette diversification n’était ni inévitable ni nécessairement endogène, et qu’elle ne devait pas non plus conduire à une fragmentation politique. En d’autres termes, la diversification tant vantée est à la fois l’effet et la cause de l’effondrement du consensus social et politique qui était autrefois si écrasant qu’on aurait dit qu’il était irréversible. Pour moi il est évident que derrière des mots comme « changements inéluctables », quels qu’en soient les dires et d’où qu’ils les disent, se cache, de moins en moins secrètement, un désir et un imaginaire capitaliste et constitutivement contre-révolutionnaire, impossible à assouvir sans un changement de régime, même si cela se produit sans intervention directe des États-Unis.

Pourriez-vous établir des liens plus clairs ou plus directs entre cette diversification sociale et culturelle et la fragmentation politique à laquelle vous faites allusion ? Y a-t-il place à Cuba pour la reconstitution du consensus sans que la condition sine qua non de cette reconstitution soit un changement de régime politique ?

Je pense avoir partiellement répondu à cette question dans ma réponse précédente. Dans le monde d’aujourd’hui, l’idée d’une société socialement homogène ne me semble pas réaliste. Les changements civilisationnels que nous vivons, les avancées technologiques, la mondialisation, ouvrent la voie à une grande mixité sociale, sans oublier les effets d’oppressions transversales qui donnent lieu à de nouvelles mobilisations populaires, à la montée du féminisme, à la reconnaissance croissante des anciens des personnes LGBT, etc.

Tout cela se produit en conséquence de la mondialisation capitaliste. Tous ces changements doivent être affrontés dans une perspective de consensus, d’émancipation, et non de division. En théorie, le socialisme doit les faire siens. Comme je l’ai dit, cela n’a pas été le cas. Nous devons comprendre pourquoi. Dans la situation actuelle à Cuba, la conceptualisation des réformes économiques et leur application ont été très négatives. Ils ont aggravé les inégalités, le racisme, les frustrations des jeunes. Des réformes sont nécessaires, mais pas seulement économiques. Ce qu’on a appelé la « mise à jour du socialisme » a été une mise à jour bureaucratique, décidée d’en haut.

Le consensus révolutionnaire reposait sur deux piliers : la souveraineté nationale, d’une part, et la justice sociale, la solidarité, l’égalité, d’autre part. Or l’égalité est remise en cause par la conception même des réformes et mise à mal par les conséquences de l’unification monétaire telle qu’elle a été réalisée. Comme on dit en français, ne coupez pas la branche sur laquelle vous êtes assis. Un changement politique ne signifie pas un changement de régime, cela ne signifie pas un retour au capitalisme… tout dépend des changements politiques que l’on souhaite opérer.

Dans les premières années de la Révolution, la grande majorité de la population était d’accord avec les propositions des dirigeants du pays, tant sur le plan social que politique. Malgré les difficultés, avant la chute de l’Union Soviétique, le niveau de vie des plus pauvres a augmenté, notamment celle des travailleurs.

La mobilité sociale a fonctionné. La campagne d’éducation et d’alphabétisation de masse a transformé les conditions de vie à la campagne. Il est vrai qu’ils menaient une vie sobre, voire austère, mais cela ne l’a pas empêché d’être un pas en avant pour des millions de personnes, sans parler de la mise en place d’un système de santé publique universel et gratuit, chose qui n’avait jamais existé auparavant. .

La reconnaissance de ces avancées ne fait pas l’unanimité : les minorités privilégiées de l’ancien régime quittent le pays et très vite les premiers exilés commencent à arriver aux États-Unis. Mais force est de constater qu’au-delà de ces acquis sociaux, il existait déjà des pratiques politiques très contestables, notamment à l’égard des artistes et des intellectuels. Pratiques politiques héritées des conceptions staliniennes de l’Union Soviétique. Ces pratiques étaient transmises par les images de l’ancienne PSP.

Outre la crise du sectarisme en 1962, plusieurs polémiques ont lieu sur le plan artistique. En 1963, Blas Roca, qui avait été secrétaire général du PSP, soumet le film La dolce vita de Federico Fellini à de virulentes critiques auxquelles Alfredo Guevara, directeur de l’ICAIC, finit par répondre de manière cinglante. Des années plus tard, en 1970, l’excellente revue de sciences sociales Critical Thinking a été interdite. Cette décision annonçait ce que l’écrivain Ambrosio Fornet appellerait la période grise de cinq ans et d’autres en sont venus à la décrire comme une décennie grise.

Cet équilibre politique complexe et parfois instable a été rompu après la chute de l’URSS. A partir des années 1989 et 1990, tout un système s’effondre. Avec l’implosion de l’Union soviétique, toute une série de références et de certitudes s’effondrent. Le cadre idéologique de la Révolution disparaît. Il fallait comprendre ce qui s’était passé, organiser des débats sur les causes de cet effondrement et quelles avaient été les erreurs. Fidel l’a reconnu ainsi : « Nous avons copié », dit-il. Mais il ne suffisait pas de le dire. Il fallait expliquer ce qui avait été « copié » pour le combattre, reconnaître les erreurs et réfléchir aux changements à opérer dans la perspective d’un socialisme démocratique, et non d’un retour au capitalisme. Il est vrai que chez une minorité la contre-révolution n’a jamais cessé d’être présente, mais elle doit être combattue par des moyens politiques. Comme l’a dit le Che, les idées sont combattues avec des idées, pas en les censurant.

Je dois maintenant aborder la question du multipartisme. À Cuba, dans les conditions actuelles, tant qu’il y aura des fonds de financement provenant de Miami ou du National Endowment for Democracy (NED) des États-Unis, dont l’objectif déclaré est de provoquer un changement de régime, d’obtenir le renversement du régime actuel, il n’est pas possible d’accepter l’existence d’organisations politiques financées par ces fonds. Cependant, ce qui peut être fait, c’est d’organiser des débats à l’intérieur et à l’extérieur du parti, comme c’est le cas actuellement dans les blogs et autres médias.

La diversification sociale explique-t-elle la fragmentation politique ? En partie. Lorsque la société est unie et cohésive en combattant un ennemi commun, elle est moins susceptible de se diviser politiquement. C’est ce qui se passe habituellement en période révolutionnaire, c’est-à-dire dans des circonstances exceptionnelles. Parce que les intérêts sociaux individuels prennent le pas sur l’intérêt général. Ce fut le cas à Cuba pendant les premières années de la Révolution. Mais en temps « normal », aucune société n’est homogène. Quand on essaie d’imposer cette homogénéité en dehors des périodes exceptionnelles, on tombe dans le totalitarisme.

Quand à Cuba on parle de « changements inéluctables », on constate une grande ambiguïté. Que des réformes économiques soient nécessaires est un fait indéniable, même s’il existe différentes conceptions des réformes. Des tentatives sont faites pour justifier une conception mercantile des réformes économiques, tandis que des réformes politiques tout aussi nécessaires sont négligées. Cependant, il n’y a pas de conception générique des réformes économiques. Les réformes appliquées jusqu’à présent ont fait naître de nouvelles catégories sociales aux intérêts spécifiques. Les indépendants n’ont pas les mêmes intérêts que les travailleurs qu’ils emploient. Certains discours assimilent les intérêts du patron d’une petite entreprise ou d’un petit restaurant à ceux des salariés, parfois surexploités. À Cuba, parmi les petites et moyennes entreprises, il y a celles qui peuvent compter jusqu’à cent employés. Les salaires combinés de cent employés ne sont pas égaux aux bénéfices du propriétaire. Il y a donc des intérêts sociaux antagonistes et ces antagonismes se traduisent de différentes manières au niveau social et politique.

Sur le plan social, les travailleurs doivent être protégés et défendus. La répression n’est pas une réponse à ces contradictions. La réponse est politique et passe par la mise en place d’un système démocratique. Certes, c’est toujours une réponse abstraite, algébrique et général, à une question à laquelle historiquement il n’a pas été possible de donner une réponse satisfaisante, puisque les régimes dits socialistes ont échoué de manière retentissante en ce sens et, de cette manière, ont favorisé l’offensive de la droite libérale.

Le pluralisme est une condition du consensus. Ce n’est pas un luxe de la petite bourgeoisie. C’est aussi une condition de l’efficacité des réformes, notamment économiques. La manière dont l’unification monétaire a été réalisée a suscité de nombreuses critiques. Je ne peux pas revenir sur ce problème ici, mais certaines des erreurs auraient pu être évitées si certains économistes avaient été écoutés. Et aussi quelques sociologues.

Prenons l’exemple du nouveau Code de la famille. Il a provoqué de nombreux débats. Entre février et avril, une large consultation a été menée dans le pays sur le Code et il a finalement été approuvé. A ce propos, le correspondant de l’AFP écrit : « Quartier par quartier, Cuba débat du mariage homosexuel et de la maternité de substitution ». L’Église catholique s’y est opposée, tout comme les évangéliques. Il fut un temps où les homosexuels étaient réprimés à Cuba, mais aujourd’hui, il est possible de vérifier les progrès réalisés à cet égard grâce aux efforts, entre autres, de Mariela Castro. L’approbation du Code de la famille est une mesure consensuelle malgré les différences.

La nouvelle Constitution, approuvée début 2019, qui a également suscité de nombreux débats, n’est toujours pas pleinement appliquée, notamment les dispositions de son article 56, qui garantit « les droits de réunion, de manifestation et d’association, à des fins licites et pacifiques ». ( mais avec une mise en garde : « à condition qu’elles soient exercées dans le respect de l’ordre public et dans le respect des dispositions établies par la loi »). Si cet article reste lettre morte, le prix sera élevé. Les institutions doivent être représentatives de la diversité et de la complexité de la société cubaine actuelle.

Une relation de continuité s’établit habituellement entre le sit-in du 27 novembre 2020 et les manifestations et actes de vandalisme du 11 juillet 2021 ; cela se fait également entre ceux qui sont mobilisés par la protestation contre le décret-loi 349, d’une part, et, d’autre part, Luis Manuel Otero Alcántara, Denis Solís et Maykel Osorbo – vous les mentionnez nommément dans votre article – qui, plus quelle que soit leur stature ou leur importance en tant qu’artistes, politiquement du moins ils sont irrécupérables pour tout projet qui s’arrête aux portes de la reconnexion de facto de Cuba aux États-Unis. J’oserais dire qu’Alcántara, Solís et Osorbo ne dépassent guère la catégorie de la main-d’œuvre politique bon marché de l’implantation de l’industrie politico-culturelle actuelle à Miami, d’Otaola à «Patria y Vida».

Cela dit, la grande majorité de ceux qui sont descendus dans la rue le 11 juillet n’étaient pas des artistes, des écrivains ou des intellectuels de manière claire ou voilée hostiles ou étrangers au projet révolutionnaire depuis le début. Comme toujours, ces derniers tentent de capitaliser sur les événements du 11 juillet à leur avantage. D’un autre côté, il serait naïf et irresponsable d’ignorer que les manifestants du 11 juillet ne sont que la pointe de l’iceberg, ou du moins un iceberg capable de faire échouer et de couler le navire.

Comment commencer à récupérer cette masse dès maintenant pour le projet révolutionnaire et cesser de la donner à Miami et, par là, à Washington ? N’est-ce pas précisément la tâche la plus ardue et la plus urgente de la Révolution ? N’est-ce pas une illusion fatale d’imaginer qu’il faut attendre de pouvoir remplir son réfrigérateur pour pouvoir réoccuper sa conscience politique ?

A Cuba, il y a des difficultés de toutes sortes. Je ne dirais pas que nous sommes face à un cercle vicieux, mais nous sommes presque face à la quadrature du cercle. Cuba est tenue de respecter les normes démocratiques alors même que le pays, économiquement étranglé par l’embargo, a terriblement souffert de la pandémie. Cependant, les effets de la pandémie ont été exacerbés par la stratégie économique appliquée ; notamment en raison de la priorité accordée au tourisme.

De nombreux éléments entrent en jeu pour comprendre ce qui s’est passé le 11 juillet 2021. Premièrement, la crise économique à la suite des sanctions et de l’embargo. Il ne sera jamais assez stressé. Aucun autre pays n’a fait l’objet de sanctions aussi longtemps. Auxquels s’ajoutent des erreurs de politique économique. La population souffre. La pauvreté est aujourd’hui présente à Cuba, en plus des inégalités croissantes.

Les manifestations du 11 juillet ont été l’expression d’une réponse sociale. La plupart des gens qui sont descendus dans la rue étaient des pauvres. Ils ont également protesté contre ce qu’ils percevaient comme des injustices. Certaines décisions économiques sont impopulaires, comme devoir avoir des devises étrangères, une carte de crédit, pour pouvoir acheter des produits de première nécessité. Cela contredit la tradition d’égalitarisme et de solidarité de la Révolution cubaine, une tradition qui a été essentielle à la survie du régime.

D’où viennent les dollars? De Miami, de parents à l’étranger, d’entreprises, etc. Des secteurs importants de la population n’ont pas de dollars, ce qui a entraîné une érosion de la légitimité du gouvernement. A cela s’est ajoutée la manière dont la tâche de commande a été gérée, l’augmentation des prix, l’inflation. Parfois, il était difficile de s’asseoir et de regarder les émissions de la Table Ronde, car elles semblaient ignorer les préoccupations des Cubains. Bien entendu, les manifestations du 11 juillet ont également été instrumentalisées. Cris d’A bas la dictature ! ou Vive la liberté ! Ces cris étaient localisés, ils provenaient de groupes très spécifiques.

L’expression dominante était celle d’une explosion sociale. Cependant, il est inquiétant qu’une minorité pense que ce qu’il faut, c’est un accord avec les États-Unis, que la seule façon de résoudre la crise cubaine est de revenir au capitalisme. A tout cela s’ajoute la réponse venue des milieux intellectuels et artistiques et qui s’est exprimée en novembre 2020 lors d’un sit-in devant le ministère de la Culture (même si, pour la plupart, ces manifestants ne se sont pas identifiés aux positions de Luis Manuel Otero Alcantara ou Maykel Osorbo).

Chanter Patrie et Vie par opposition à Patrie ou Mort, la devise de Fidel Castro, c’est déformer le sens d’un slogan révolutionnaire né d’un contexte historique. Si la patrie et la vie sont revendiquées en même temps, il faudrait commencer par s’adresser à l’administration des États-Unis, puisque c’est à eux qu’il revient de reconnaître le droit à la vie et l’existence de la nation cubaine.

Comment récupérer le soutien populaire dans ce contexte ? Je ne suis pas tout à fait d’accord avec votre dernier commentaire : « N’est-il pas illusoire de penser qu’il faut d’abord remplir les réfrigérateurs pour pouvoir aussi avancer dans la conscience politique ? Remplir les frigos n’est pas une garantie que la conscience politique avancera, mais sauf cas exceptionnel c’est une condition nécessaire, bien qu’elle ne soit pas suffisante. Il est très important de remplir les réfrigérateurs. Je suis profondément en désaccord avec le système politique chinois, mais les dirigeants chinois ont compris que, contrairement au capitalisme, le socialisme doit garantir la survie alimentaire de chacun, à laquelle j’ajouterais le progrès social. Ils ne l’ont pas encore atteint, il y a beaucoup à faire, ils ont 1,4 milliard de bouches à nourrir.

Il ne s’agit donc pas seulement de stocker des réfrigérateurs, il s’agit d’éduquer les gens, d’avoir des emplois, de pouvoir éduquer leurs enfants et d’accéder à des soins de santé adéquats, ce que le capitalisme ne fait pas. Les réformes économiques doivent donc être conçues dans cette perspective, celle d’une société différente, celle d’un projet alternatif.

Dire cela, ce n’est pas nier les transitions nécessaires, qui peuvent être longues, ni nier qu’il puisse y avoir des déboires. L’exemple de la Nouvelle Politique Economique (NEP) en Union Soviétique, les premières années de la Révolution d’Octobre, est souvent cité. Il est nécessaire d’expliquer la nécessité des réformes, d’accorder une place au marché et au secteur privé, sans pour autant dévaloriser l’importance du secteur public. Le discours qui accompagne les réformes en cours, en faveur de l’équité et contre « l’égalitarisme », le fait que les subventions soient conçues comme une charité réservée aux plus pauvres, est un discours imprégné de néolibéralisme, un discours contre-productif qui alimente le scepticisme et la démoralisation.

Dans votre article, vous parlez de la « crise du [Parti Communiste Cubain], carcan politique sclérifié » et de la « crise générationnelle après l’emprise prolongée au pouvoir de la génération historique ». Et aussitôt après vous ajoutez : « Les débats idéologiques qui traversent la gauche continentale, le nouveau constitutionnalisme latino-américain, les revendications écologiques, la reconnaissance des minorités LGBT, imprègnent les nouvelles générations cubaines à contre-courant des discours officiels ».

Pourriez-vous développer votre vision de ces crises successives ou parallèles, celle du Parti et de la génération ? Le Parti a-t-il cessé d’être un véritable lieu de pouvoir politique ou d’influence idéologique ? Était-ce jamais? Et si oui, qui ou quoi l’a remplacé ? D’autre part, une gauche qui se dit révolutionnaire – pour ne pas dire communiste – pourra-t-elle se définir à partir d’enjeux ou de causes comme le nouveau constitutionnalisme latino-américain, les revendications écologiques ou la reconnaissance des minorités LGBT ? D’un point de vue strictement révolutionnaire, Gabriel Boric n’est-il pas à la droite de Salvador Allende ?

À Cuba, les guérilleros sont non seulement arrivés au pouvoir, mais ont également fait la révolution sociale, culturelle et géopolitique la plus radicale de l’histoire de l’Amérique Latine, et ils l’ont défendu pendant des décennies; L’argument selon lequel eux aussi sont restés au pouvoir est malveillant et banal, car en tout cas ils ne l’ont pas fait pour construire des palais comme Saddam ou pour priver Cuba de la capacité de produire des vaccins contre le COVID-19, ce que ne pouvait pas s’offrir la plupart du monde industrialisé. Cuba ne devrait-elle donc pas continuer à se nourrir de son exception et de sa singularité au lieu de se dissoudre dans une gauche latino-américaine soit sectaire et minoritaire, soit sociale-démocrate, sinon déjà, en fait, néolibérale ?

Ce ne sont pas vraiment des questions, mais plutôt des déclarations ! Je vais commencer par reprendre une citation de mon article. Juan Valdés Paz écrit : « La Révolution cubaine s’est déroulée avec un haut niveau de légitimité ; c’est-à-dire qu’elle a eu une grande capacité à construire un consensus majoritaire dans la population (…), [mais] l’histoire comme source de légitimité perd de son poids relatif avec le temps (…), sans oublier les crises subies (…). C’est pourquoi la question de l’évolution démocratique et le débat que nous menons en ce moment sur la démocratie sont si pertinents pour le sort de la Révolution, pour sa légitimité future (…) [N]ous n’avons pas seulement pour nous soigner de [l’]expérience historique libérale [de la République dépendante], mais aussi des expériences des soi-disant « démocraties populaires », qui n’ont pas disparu par hasard. Et nous n’avons pas assez réfléchi (…) à la raison de leur disparition».

Elle résume parfaitement ce que je veux dire. Le Parti Communiste de Cuba — son Comité Central — a été fondé en 1965. Son premier congrès a eu lieu en 1975. Plus de 50 ans se sont écoulés. Les nouvelles générations, éduquées grâce à la Révolution, vivent dans un tout autre contexte national et international. Leurs aspirations professionnelles, politiques et culturelles ne sont plus celles de leurs aînés. Ce qui donne lieu à de nombreux malentendus. L’accès à Internet a provoqué un véritable bouleversement. Le contraste avec les médias officiels est éclairant. Pourquoi les débats qui ont lieu dans les blogs n’ont-ils pas lieu aussi au sein du Parti, dans les organisations de masse, dans les médias ? Il y a une sorte de paralysie interne, de blocage, par peur d’affronter des débats contradictoires.

Vous me demandez si le Parti a eu une réelle influence politique ou idéologique dans le passé. Bien sûr. Non seulement au niveau national, mais aussi, dans les années 1960, au niveau international, et pendant beaucoup plus longtemps en Amérique Latine. Au début de la Révolution, il y avait trois acteurs politiques : le Parti Socialiste Populaire, le Mouvement du 26 juillet et le Directoire Révolutionnaire. Il y avait une diversité politique dans le camp révolutionnaire. La fusion de ces trois courants a donné naissance à un parti unique. Au début, le Parti s’est construit de manière originale, à travers un processus unique de sélection de ses membres par élection ouvrière, basé sur l’exemplarité au travail et la consécration des candidats. Petit à petit, le PCC a changé, il est devenu monolithique, il s’est rapproché de la conception stalinienne, et non bolchevique, et il s’est bureaucratisé.

En ce sens, il est révélateur que, malgré de nombreuses exhortations à séparer le Parti et l’État, malgré les tentatives en ce sens, cet objectif n’a jamais été atteint. C’est un facteur très important de la bureaucratisation. Une dernière observation : celui qui devient le chef du nouveau parti communiste, qui remplace Blas Roca —ex-secrétaire général du PSP—, s’appelle Fidel Castro. Il serait intéressant d’analyser les raisons de cette substitution. Rappelons-nous que ce nouveau parti s’appelle le Parti communiste, il ne s’appelle plus le Parti Socialiste Populaire, ce qui n’est pas neutre, ni anecdotique. L’ancienne PSP était discréditée au sein de la population. Dans le même temps, l’identité communiste du nouveau parti s’affirme.

Fidel Castro n’a pas, loin s’en faut, le même parcours que son prédécesseur. Il est le fondateur du Mouvement du 26 juillet, qui n’est pas un parti et est beaucoup moins structuré que le PSP (sauf que Fidel, à lui seul, est presque un parti politique). Fidel est un leader avec une vision stratégique, avec un projet politique qui ne peut être assimilé qu’au parti. Qu’est-ce que le fidelisme, qu’est-ce que le castrisme ? Ce ne sont pas des questions faciles à répondre. Ce n’est pas une théorie, ni une doctrine. Certains historiens l’ont appelé jacobinisme latino-américain. C’est un nationalisme radical, un anti-impérialisme, un internationalisme latino-américain projeté sur tout le continent. Quand je dis que ce parti s’est bureaucratisé, il faut analyser en détail son fonctionnement et le différencier, par exemple, du PCUS. Fidel a ses propres réseaux, qui sont des réseaux parallèles, Fidel passe par-dessus les institutions, croyant qu’il se bat contre la bureaucratie. La conception de Raúl est très différente.

A partir de 2006, Fidel est affaibli par la maladie. Raúl l’a remplacé par une équipe de direction très différente, augmentant le poids de l’armée, dont Raúl s’était entouré lorsqu’il était ministre des Armées. Raúl impose un fonctionnement institutionnel plus stable, plus fiable, moins arbitraire. Mais il n’a pas la capacité de convocation et de mobilisation qu’avait Fidel. « On entend peu parler de lui, il n’est pas assez présent », m’a dit un responsable. Déjà en 2004, le chercheur Aurelio Alonso avait souligné « les conséquences négatives pour le modèle de répartition égalitaire (dans les années 1980 la proportion des revenus les plus élevés par rapport aux revenus les plus faibles était d’environ 4,5 pour 1) » des mesures appliquées après la chute de l’URSS. Cependant, les réformes économiques promues par Raúl Castro allaient avoir des conséquences encore plus graves, car elles saperaient la légitimité du leadership parmi les secteurs les plus touchés. L’institutionnalisation était nécessaire, mais elle s’est accompagnée d’une délégitimation. L’esprit révolutionnaire, le projet révolutionnaire, a perdu son lustre en maintenant l’ancien modèle politique.

Concernant votre dernière question : Cuba ne devrait-elle pas continuer à affirmer son exception, sa singularité, au lieu de se diluer dans les débats latino-américains ? C’est une question très intéressante, mais à quelle condition peut-on maintenir l’exception cubaine aujourd’hui ? Cuba peut-il s’appuyer sur les expériences en cours en Amérique latine ? Vous devriez vous en inspirer, mais pas les copier.

Actuellement, il y a plusieurs tendances dans la gauche latino-américaine et deux grandes orientations, bien qu’il soit un peu réducteur de le dire en ces termes. Il existe un courant sectaire, dogmatique, qui allie ouverture au marché et régime autoritaire : le Nicaraguayen Ortega, en partie le Vénézuélien Maduro, un secteur de la direction cubaine. Et il y a une autre orientation, certainement plus démocratique, prônant un réformisme plus ou moins radical : au Chili, par exemple, avec Gabriel Boric, et au Brésil avec Lula, s’il était réélu (avec Alckmin comme vice-président). Sans oublier les cas particuliers de Pedro Castillo au Pérou, d’Alberto Fernández en Argentine ou de Gustavo Petro en Colombie, qui viennent nuancer le tableau. La force des mouvements sociaux a permis à la gauche d’obtenir des victoires électorales — les cas de la Bolivie et du Chili sont emblématiques —, mais, contrairement à la Révolution cubaine, aucun des gouvernements issus de ces victoires n’a été capable de promouvoir un projet révolutionnaire.

Ce qui nous amène à des questions d’ordre stratégique. Cela avait déjà été souligné en mars 2009 par Aurelio Alonso, qui se demandait si Cuba pouvait offrir un modèle alternatif et insistait plutôt sur la nécessité de réinventer le socialisme du XXIe siècle, de construire une société qui représente une alternative aux schémas de domination néolibéraux et à ceux de socialisme du XXe siècle, dont l’échec est évident. L’une des leçons les plus claires de la chute du modèle soviétique — a poursuivi Aurelio — était que le socialisme ne pouvait pas exister sans démocratie, tandis que l’un des défis auxquels Cuba était confrontée était de construire une démocratie de type socialiste à partir des institutions existantes. Aurelio disait cela en 2009. La gauche cubaine dit la même chose aujourd’hui. Les difficultés rencontrées par des plateformes comme Alma Mater et La Tizza montrent que le PCC a beaucoup de mal à accepter des critiques et des analyses de la réalité cubaine différentes de la sienne, même si elles émanent de ses propres rangs et de ses propres militants.

Un débat sur le socialisme a lieu aujourd’hui dans toute la gauche internationale. Cela me surprend qu’à Cuba ce qu’était le stalinisme, le rôle qu’il a joué dans l’effondrement de l’Union Soviétique, ne soit pas toujours pesé. Partout dans le monde aujourd’hui le projet révolutionnaire est remis en question. En Chine, il y a un parti qui s’appelle le Parti Communiste, mais des milliardaires peuvent faire partie de sa direction ; si les pratiques de ce parti sont observées, alors la possibilité d’accéder à une société différente, plus émancipée, voit clairement sa crédibilité mise à mal.

De son côté, le projet social-démocrate n’est pas viable non plus, du moins en France et dans le reste de l’Europe. Le projet socialiste a été détruit en URSS et il faudra le réinventer, également à Cuba. Il faut intégrer toutes les oppressions, toutes les discriminations, en particulier la résurgence du racisme —qui n’avait pas disparu à Cuba—, toutes les revendications, y compris les nouveaux féminismes. Les recherches menées à Cuba sur la marginalité, la mobilité sociale et la reproduction de la pauvreté associée à la couleur de la peau montrent que la population noire a été fortement touchée. Comme le souligne l’activiste antiraciste Roberto Zurbano Torres, « leur situation s’est aggravée, non seulement en raison des derniers problèmes économiques et sanitaires ; mais [aussi] par l’absence d’un regard critique et autocritique du gouvernement sur la situation raciale à Cuba (…) N’oubliez pas qu’avant il était interdit d’aborder la question raciale » (« Des choses pour les noirs, des affaires blanches », La Joven Cuba, 9 juin, 2022).

Pour renouveler le socialisme, il faut élaborer un projet qui articule ces oppressions transversales, il faut critiquer les expériences historiques et il faut s’appuyer sur des mobilisations populaires, souvent de grande force, mais qui se heurtent à l’absence d’issue, dans une perspective politique émancipatrice. Nous devons comprendre pourquoi.

Dans votre article, vous évoquez aussi, au passage, « l’aide parcimonieuse de la Russie » et « l’aide intéressée de la Chine ». Et vous ajoutez : « Condamné [Cuba] à survivre, cette île peut-elle rester seule ? J’aimerais que vous élaboriez un peu plus sur l’état actuel des relations entre Cuba et les deux seuls alliés puissants qui lui restent. D’autre part, quelle importance ou valeur géopolitique Cuba a-t-elle pour le monde d’aujourd’hui, en particulier pour la gauche latino-américaine et occidentale ? Cuba est-elle aujourd’hui une sorte d’albatros sentimental ou de lest moral pour ces gauchistes ? Ou la solidarité avec Cuba va-t-elle au-delà de l’anti-impérialisme ? En d’autres termes, avec tous les problèmes auxquels Cuba est confrontée et avec toute l’érosion – justifiée ou non, inévitable ou artificiellement provoquée – de l’image de Cuba et de sa Révolution, Cuba est-elle toujours un avant-poste de la gauche révolutionnaire ?

Cuba peut-il survivre seul ? Le simple fait de poser la question est désolant. Je suis très préoccupé par cette affaire. Dans le monde d’aujourd’hui tel que nous le connaissons, la réponse est plutôt négative. D’un point de vue géopolitique, le rapport de forces n’est pas favorable. Cuba est à côté de Miami, en Floride, bastion de la droite anticastriste qui a tant de poids dans les élections américaines. Cuba a besoin d’alliés en Amérique latine. Elle en a, comme on vient de le voir au Sommet des Amériques en juin à Los Angeles, mais la gauche latino-américaine est divisée. Le nouveau président chilien Gabriel Boric, dans son discours d’investiture, a pris ses distances avec Cuba. Le Venezuela est affaibli.

Au niveau international, sur qui Cuba peut-elle compter aujourd’hui ? La Russie ? Poutine est un allié, important surtout sur le plan militaire, mais c’est un allié fondamentalement intéressé par la position géopolitique de Cuba dans le périmètre de sécurité des États-Unis. Cependant, en ce moment, le gouvernement Poutine est affaibli par l’invasion de l’Ukraine. La Chine est aussi un partenaire économique très important, mais les dirigeants chinois sont des gens très soucieux de leurs propres intérêts ; « Les Chinois sont des hommes d’affaires », m’a dit un ami cubain. Il semble qu’ils n’aient même pas répondu à la demande du gouvernement cubain pour des médicaments qui manquaient pendant la pandémie.

Fidel Castro et le Che avaient une conviction politique commune, une conviction « bolivarienne », partagée par Chávez : celle de la nécessité de l’intégration latino-américaine comme condition du développement autonome durable du sous-continent face à sa domination par les États-Unis. La mondialisation rend ce besoin encore plus aigu, si l’on songe à ce que René Dumont écrivait dès 1964 : « il n’y a pas de tâche plus difficile que de construire le socialisme dans les pays sous-développés » (Cuba, socialisme et développement, Paris, Éditions du Seuil, 1964).

Vous me demandez si Cuba représente encore un avant-poste du socialisme. La réponse est non. Dans les années soixante, l’expérience cubaine a été un modèle pour de nombreux jeunes révolutionnaires. Pourquoi n’est-ce pas aujourd’hui ? Je crois y avoir fait référence dans mes réponses aux questions précédentes. Depuis l’implosion de l’URSS, le socialisme est assez discrédité, car identifié au « socialisme réel », au stalinisme, à un régime totalitaire.

Cuba subit aujourd’hui les conséquences de tout cela et a cessé d’être une référence mondiale. Il est vrai que les campagnes médiatiques orchestrées contre Cuba ont aussi joué leur rôle, les dénonciations sélectives qui varient selon les circonstances. Mais cela ne suffit pas à excuser les erreurs commises. Prenons par exemple les peines de prison infligées aux jeunes qui ont manifesté le 11 juillet 2021. On ne peut assimiler ceux qui ont incendié des voitures, commis des agressions physiques contre des établissements ou des forces de l’ordre, à ceux qui ont manifesté pacifiquement, pour protester contre les terribles difficultés de la vie quotidienne. Nul, et encore moins les mineurs, ne peut être emprisonné pour avoir manifesté pacifiquement. Il n’est donc pas surprenant que la presse internationale profite de cette situation pour dénigrer le régime cubain et l’assimiler à celui du Nicaragua ou l’identifier à celui de Poutine. Heureusement, il y a eu des progrès; par exemple, en ce qui concerne la peine de mort. Il n’a pas été officiellement aboli, mais il existe un moratoire de facto. Si je ne me trompe, il n’y a pas eu d’exécutions depuis 2003.

Pour en revenir à ma question, que représente Cuba pour la Chine, par exemple ? Si Cuba était perdue, serait-ce une grande perte pour la Chine ? Nous savons que d’un point de vue géopolitique, dans les années 60, Cuba était stratégiquement très important pour l’Union soviétique. En d’autres termes, si Cuba a cessé d’être une référence idéologique, a-t-elle aussi perdu sa valeur géopolitique ?

L’importance géopolitique de Cuba reste très grande. Ce n’est pas rien d’être au centre de la Méditerranée américaine, dans l’arrière-cour des États-Unis, à 200 km de la Floride, le flanc sud des États-Unis. Les liens avec la Russie sont importants. La Havane reçoit une aide militaire. La Russie contribue à l’amélioration du réseau ferroviaire. Moscou a renégocié et reporté le paiement de la dette cubaine. Au milieu de la crise actuelle, avec les séquelles de la pandémie, avec le maintien des sanctions imposées par Trump, Cuba ne pourrait être tenue de rembourser la dette. Mais cette aide financière n’est pas désintéressée. Cuba est un allié, influent en Amérique latine et dans d’autres pays du Sud, comme on peut le voir dans les votes des Nations Unies. Nous l’avons également constaté lors du récent Sommet des Amériques à Los Angeles. Plusieurs dirigeants latino-américains ont critiqué, par leur absence ou dans leurs discours, l’exclusion de Cuba.

Poutine instrumentalise cette situation. Rappelons-nous que dès que Washington s’est rendu compte que les dirigeants soviétiques avaient installé des roquettes et des armes nucléaires à Cuba en octobre 1962, il a riposté et présenté au monde une épreuve de force majeure. Le monde était au bord de la guerre nucléaire, puisque la présence de missiles soviétiques à Cuba modifiait l’équilibre stratégique. Je ne veux pas faire d’analogie avec ce qui se passe en Ukraine aujourd’hui. Il est facile de comprendre qu’un missile met plus de temps à voyager de Moscou à Washington que de La Havane à Washington. D’une certaine manière, Washington est à côté. Pour résumer, recourons au langage de la finance : Cuba est un bon investissement, un investissement rentable qui compte encore en Amérique Latine.

La Chine a une forte présence à Cuba. La puissance économique de la Chine est supérieure à celle de la Russie. Les Chinois investissent, ils accordent des prêts, mais ils font des affaires, ils ne font pas de cadeaux. Eux aussi sont intéressés à avoir un pied dans l’arrière-cour de l’Amérique. Ils sont très actifs en Amérique latine, notamment au Venezuela qui, en raison de ses ressources pétrolières, est un pays plus important que Cuba. Apparemment, il y a eu une levée partielle des sanctions contre le pétrole vénézuélien en raison de la guerre en Ukraine.

D’un point de vue stratégique, il est important de souligner l’accord entre Moscou et Pékin, qui forment un bloc. Ce bloc compte sur le conseil international. La Chine est devenue l’ennemi numéro un des États-Unis et on prédit déjà que d’ici 2050 elle sera devenue la première puissance mondiale. L’impérialisme américain est en déclin, mais le fait qu’il soit en déclin ne signifie pas qu’il est moins dangereux. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre son agressivité constante contre Cuba et contre le Venezuela.

Où en êtes-vous aujourd’hui, politiquement, institutionnellement ? Où est, en France, ce qui a pu survivre et continuer à être la réserve et le garant de la tradition politique dont vous vous réclamez ? Dans quelle position cela reste-t-il en France après les récentes élections présidentielles législatives et au-delà ?

D’un point de vue académique, je continue à faire des recherches à l’Institut des Hautes Etudes sur l’Amérique Latine (IHEAL), dirigeant un groupe d’étude sur Cuba avec le président du conseil d’administration de l’IHEAL, Stéphane Witkowski. Sur un plan plus directement politique, je co-préside la Fondation Copernic, qui est une fondation de gauche qui vise à rassembler les tendances antilibérales en France. Et je suis aussi député de la Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (NUPES), c’est ainsi que s’appelle désormais l’Union Populaire dans laquelle La France Insoumise (LFI), qui a obtenu 22% aux élections présidentielles, est majoritaire. Ce parlement rassemble presque toutes les forces de la gauche : les écologistes, le Parti communiste, le Parti socialiste et les petites organisations, avec LFI comme force hégémonique.

Le Parlement de la NUPES est composé de quelque 500 personnalités élues, personnalités politiques, syndicalistes, associations, représentants de la société civile. Avant les élections présidentielles, la gauche était très divisée et affaiblie, sans perspectives, démoralisée. Les résultats obtenus par LFI, qui est désormais la première des forces de gauche, ont modifié le rapport de force. 22% des voix pour Jean Luc Mélenchon aux élections présidentielles, malgré la campagne médiatique contre lui, c’est impressionnant. La France Insoumise est non seulement la force politique la plus populaire, mais aussi la plus radicale. C’est un tournant très important dans la situation politique française. Rappelons qu’il n’y a pas si longtemps, le Parti Socialiste Français, d’orientation social-libérale, était majoritaire à gauche. Cette fois sa candidate, Anne Hidalgo, maire de Paris, n’obtient que 1,7% des suffrages à l’élection présidentielle ! Alors l’ancienne direction de ce parti a été totalement discréditée, le PS est divisé.

Le candidat écologiste, Yannick Jadot, n’a obtenu que 4,6 %, faute de répondre aux inquiétudes populaires : comment conjuguer revendications environnementales et justice sociale ? Qui paiera la transition écologique ? Il a maintenu une position ambiguë concernant le capitalisme vert. Quant au Parti communiste, il continue de s’affaiblir, son candidat préférant mener une campagne séparée et sectaire et obtenant 2,2% des suffrages au premier tour de l’élection présidentielle. Pour atténuer ce tableau, il faut retenir un élément très négatif, le poids de l’extrême droite, qui a obtenu 18,6% des suffrages via le Rassemblement National, une organisation qui s’est enracinée dans certaines catégories de la classe ouvrière, et plus de 4% via un autre parti xénophobe hostile aux immigrés. Au second tour des élections présidentielles, Macron a obtenu 58% des voix, mais l’extrême droite (Marine Le Pen) a obtenu 41,5%.

Le regroupement de toute la gauche sous la bannière de Mélenchon a créé la surprise lors des élections législatives qui ont suivi les présidentielles. C’est une grande leçon. Le rapport de force généré par La France Insoumise a permis de regrouper les autres partis de gauche, qui ont accepté l’essentiel de son programme : un programme antilibéral. Cette impulsion unitaire a permis au parti de Macron (Ensemble !) et au NUPES d’être à égalité au premier tour des législatives avec 25,7 % des voix chacun.

Ces résultats ont été tempérés par le second tour des élections législatives, où l’enjeu était de savoir si Macron obtiendrait la majorité absolue ou relative au Parlement. Il n’a obtenu qu’une majorité relative, ce qui est une défaite pour la majorité présidentielle. De nombreux ministres ont été défaits et un remaniement ministériel sera nécessaire. Emmanuel Macron devra s’appuyer sur la droite — sur le parti des Républicains — pour faire passer ses réformes. Il devra aussi compter avec des composantes de sa majorité – Horizons et le Mouvement démocrate (MoDem) – qui ne sont pas toujours de son côté.

La NUPES — et, en premier lieu, LFI — a remporté un grand succès en réunissant la gauche, les Verts, une partie du Parti socialiste en rupture avec l’aile libérale, et le Parti communiste. Un succès qui lui a valu une augmentation considérable du nombre de députés, qui s’élève désormais à 142. La coalition de gauche, bien qu’elle n’ait pas obtenu la majorité, est devenue la principale force politique d’opposition à l’Assemblée nationale. La représentation de La France insoumise à l’Assemblée nationale s’est renforcée après les dernières élections. Il a obtenu 75 sièges sur 577, contre 17 lors de la précédente législature. Le Parti socialiste a remporté 26 sièges, l’Europe verte – Les Verts et leurs alliés ont remporté 23 sièges et le Parti communiste 12 sièges.

Mais l’inconnue réside dans la capacité de cette coalition électorale à se maintenir. Le secrétaire général du PCF prend des positions dont l’objectif est de prendre ses distances avec Mélenchon et de combattre tout à sa gauche en faveur d’une orientation social-démocrate, dans l’espoir de récupérer une hégémonie perdue.

Le tableau d’ensemble est mitigé. Pour la première fois de l’histoire, le Rassemblement National obtient 89 députés au Parlement. En effet, malgré les nombreux communiqués et déclarations publiques des syndicats et des partis de gauche contre l’extrême droite, une partie des ouvriers continue sans intérioriser le danger de leurs projets et l’imposture sociale du Rassemblement National et de la Reconquista (Eric Zemmour).

Le deuxième élément négatif est le poids de l’abstention, qui était de plus de 50 %, ce qui montre l’usure et la crise des institutions de la Ve République. Emmanuel Macron devra faire face à des difficultés de gouvernance et à une majorité instable. Certains prédisent déjà une future dissolution de l’Assemblée Nationale autorisée par la Constitution. La situation politique a changé. Preuve en est la férocité de la campagne du parti de Macron et de ses alliés contre la NUPES. Le résultat final de cette confrontation reste inconnu. Beaucoup dépendra des mobilisations sociales contre les réformes néolibérales que prépare Macron. La reconstruction et la refondation de la gauche sont à l’ordre du jour en France.

SinPermiso

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