Au Bangladesh, une décision de justice du 10 janvier dernier, qui établit que les femmes ne peuvent pas être officiers de l’état civil, aussi appelés cadis [fr] dans la loi islamique, est au centre de toutes les conversations. Les femmes et les militant·e·s en faveur des droits humains remettent en question la motivation du jugement.
Un tribunal de la Haute Cour de Dhaka, composé de deux juges, un homme et une femme, a rendu cette décision controversée en vertu de la loi sur l’enregistrement des mariages et des divorces musulmans (1974) [pdf], énumérant un certain nombre d’obstacles physiques, sociaux et pratiques qui empêcheraient les femmes d’être nommées à ce poste.
Ayesha Siddiqua, une femme originaire de la municipalité de Phulbari dans le district de Dinajpur au nord du Bangladesh, a porté l’affaire initiale devant les tribunaux. En 2012, elle a posé sa candidature au poste d’officier d’état civil dans sa municipalité. À la suite de son entretien, ses résultats ont été envoyés au ministère de la Justice pour approbation mais sa candidature a été ensuite rejetée au motif qu’elle est une femme.
« Bangladesh : Ayesha Siddiqua se voit refuser l’autorisation de devenir officier de l’état civil parce que c’est une femme. #Islam #Musulmans #femmes »
Mme Siddiqua s’est engagée à contester cette décision. En juin 2014, elle a déposé un recours auprès de la Haute cour (High Court) remettant en cause la décision du gouvernement de ne pas l’embaucher en raison de son sexe.
Plus de six ans plus tard, le 10 janvier 2021, la Haute Cour du Bangladesh a prononcé sa décision finale dans laquelle elle déclare, dans une référence évidente au cycle menstruel, que les femmes souffrent d’une incapacité physique à une certaine période du mois qui les empêche d’entrer dans les mosquées ou autres lieux de culte. La cour ajoute qu’« étant donné que le mariage est une cérémonie religieuse, compte tenu de cette réalité, il est impossible pour les femmes d’exercer la fonction d’officier d’état civil au Bangladesh ».
Débat houleux sur les réseaux sociaux
Le verdict a depuis suscité de nombreuses protestations sur les réseaux sociaux, surtout parce que la menstruation a, entre autres, été citée comme motif de disqualification.
L’écrivain et poète Mujib Mehdy a publié sur Facebook [bn] :
« Ma mère, grâce à ses règles a pu me mettre au monde. Aujourd’hui, je la prive du droit de célébrer le Nikah (mariage musulman traditionnel) en tant qu’officier de l’état civil, en invoquant la menstruation comme motif de disqualification. »
Un·e internaute s’est indigné·e du verdict [bn] sur la page Facebook de Meye [Femme], un réseau féministe :
« J’ai failli vomir en lisant le verdict qui qualifie le cycle menstruel d’incapacité physique. Si l’on suit ce raisonnement, les femmes qui travaillent à leur domicile ou en dehors, doivent-elles être dispensées d’aller travailler lorsqu’elles ont leurs règles car elles sont atteintes d’une incapacité physique ? Ce type d’argument était très répandu au Moyen-Âge, mais même à cette époque, les femmes avaient le droit de sortir de chez elles. Ne faisons nous pas marche arrière ? »
Capture d’écran de la page Facebook Earki.
Le verdict a également donné naissance à de nombreux mèmes partagés sur les réseaux sociaux. La page de satire populaire Earki (blague) a partagé [bn] :
Les menstruations ou les règles sont un processus biologique normal dans la vie d’une femme. C’est parfaitement naturel et ça n’a rien d’anormal. Les femmes évoluent dans leurs domaines de travail respectifs avec cette particularité naturelle, avec succès ou en continuant à lutter pour leur survie.
(traduction des mèmes)
Pendant leur cycle menstruel, les Bangladaises peuvent :
* servir dans les forces armées et combattre pendant les guerres
* être médecins et réaliser des opérations
* gravir des montagnes
* cuisiner et nourrir les autres
* être des ouvrières agricoles
* piloter un avion
* être culturistes ou exercer toute autre carrière athlétique
* occuper des fonctions de premier plan dans le pays – comme Premier ministre, cheffe de l’opposition, Présidente du parlement, ministre ou magistrate
Mais elles ne peuvent pas être cadis/officier de l’état civil.
Le droit matrimonial au Bangladesh
Le droit matrimonial au Bangladesh — un État laïc en vertu de sa constitution — est fondé sur une fusion d’anciennes lois religieuses et civiles. Si les communautés religieuses, par exemple musulmanes, hindoues, bouddhistes ou chrétiennes, suivent des systèmes de pratiques et de lois différents pour leurs mariages, en vertu des lois de l’État, elles doivent impérativement obtenir un acte de mariage enregistré auprès de l’état civil pour valider leurs unions.
Pour les musulman·e·s, le cadi agit en qualité de d’officier de Nikah et est nommé par le gouvernement pour enregistrer les mariages en vertu de la loi de 1974 sur les mariages et les divorces musulmans (Enregistrement), et de la loi de 1975 sur les mariages et les divorces musulmans (Lois).
Mohammed Badrul Islam, un libre penseur bangladais, remet en question dans l’un de ses tweets l’interdiction gouvernementale faite aux femmes de devenir cadis :
« Célébrer un mariage et l’enregistrer sont deux tâches distinctes. Chaque mariage est célébré par un chef religieux ou des aînés en vertu des lois religieuses propres à chacun, l’enregistrement, lui, est réalisé conformément aux lois de l’État. Les époux doivent tous les deux remplir et signer un formulaire pour valider le mariage. Comment la menstruation peut-elle y faire obstacle ? »
Il est également important de distinguer le sens et la fonction du cadi au Bangladesh, puisque le terme peut avoir un sens différent dans le monde musulman. En islam, le terme cadi [fr] désigne généralement un magistrat ou un juge au tribunal de la charia avec un large pouvoir juridictionnel. Au Bangladesh cependant, un cadi est simplement un officier de l’état civil, qui n’exerce aucune autre fonction juridique conformément à l’ancienne loi islamique.
Iftekhar Jamil, un érudit religieux musulman, fait la lumière [bn] sur la croyance populaire selon laquelle les écoles de pensée religieuses musulmanes ne permettraient par aux femmes d’être cadi au Bangladesh. Il cite des exemples de traditions musulmanes qui permettent effectivement aux femmes d’agir en qualité de cadi :
« Une femme peut-elle être cadi ? Selon l’école islamique hanafite [fr] [la majorité des Bangladais sont sunnites [fr] et suivent [fr] la jurisprudence islamique hanafite], une femme peut être cadi, sauf si elle est juge dans une procédure pénale. Selon l’imam Tabari [fr], les femmes peuvent également être cadis dans le cadre de procédures pénales. »
« Quel que soit le nom que vous donnez à un cadi au Bangladesh – “officier d’état civil” ou “agent de l’État” – je ne vois aucun obstacle à ce qu’une femme remplisse cette fonction. Il est évident qu’une femme doit être modeste et suivre le Purdah [fr] si elle remplit ces fonctions. Même pendant la période des menstruations, elles peuvent accomplir leurs tâches à l’extérieur d’une mosquée [étant donné que, selon les règlements islamiques, les femmes qui ont leurs règles ne sont pas autorisées à l’intérieur de la mosquée]. »
Entre-temps, Ayesha Siddiqua a fait appel du verdict de la Haute Cour et s’est engagée à continuer de lutter contre le jugement qui l’empêche de réaliser son rêve.
Ecrit par Rezwan
Traduit par Marie Kéïta
Cet article a été publié sur Global Voices et est republié ici dans le cadre d’un accord de partenariat et d’échange de contenus.
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