Je me propose de parler un peu du racisme. Je ne vais pas cette fois développer toute une suite de réflexions scientifiques, philosophiques et prétentieuses avec un style sophistiqué sans intérêt. Je préfère partager mes vécus, ce qui pourrait aussi être l’histoire de chaque homme noir.

Je suis noir. Je ne me souviens plus de ce détail quand j’évolue dans un pays de noir bien évidemment. Durant mon enfance, je n’ai pas été directement victime de traitements particuliers à cause de ma couleur de peau, toutefois, j’ai pu faire des remarques que mon innocence n’a pas eu la capacité de traiter, mais qui allaient attirer mon attention au fur et à mesure que la voile s’estompe à mes yeux dans les relations entre noirs et blancs.

A l’école primaire, pour moi l’homme blanc représentait une créature supérieure, celui qui savait tout, qui m’apprenait tout, de la calligraphie à la catéchèse, où j’ai surtout appris à aimer un dieu blanc avec une chevelure plate et soignée.  Et quand ce n’est pas un blanc qui m’enseignait directement, il supervisait la personne chargée de le faire. Le blanc était respecté, on ne faisait pas de bruit en sa présence, il était de la même couleur que le dieu qu’on priait, on chantait fort ses qualités et on murmurait à peine ses défauts.

C’est alors que dès mes jeunes âges, j’ai assisté à une certaine réalité où mon subconscient consommait déjà cette supériorité de l’homme blanc – qu’on n’a pas voulu certainement m’enseigner mais que j’ai fini par appréhender – , d’où, mon plus grand rêve consistait quand je serai grand, d’être traité comme les blancs.

Et cette supériorité blanche, j’ai continué à y faire face à l’école secondaire, avec moins de présences blanches aux commandes bien sûr, mais cette fois j’avais assez de connaissance pour savoir pourquoi.

La Congrégation des Frères de l’Instruction Chrétienne (FIC) qui accueillait dans les années 80 un peu moins d’européens pour venir enseigner en Haïti n’a jamais fait objet de racisme. Je suis donc témoins que les frères ne faisaient aucune différence entre eux. Mais cela n’a pas non plus empêché de comprendre que c’est à partir de cette période que des religieux noirs commençaient à occuper des positions importantes à la Congrégation : par pénurie de nouvelles recrues blanches.  

J’ai enfin été libéré de cette suprématie blanche quand je suis entré à l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) et à l’Ecole Nationale des Arts (ENARTS), les seules institutions que j’ai alors fréquentées où des noirs n’avaient pas explicitement de comptes à rendre aux blancs.  

Cependant, pour mes études supérieures, les blancs ont repris la manche : je ne pouvais certainement pas m’attendre à avoir des professeurs essentiellement noirs aux USA, en France ou au Canada. Ça, faut-il l’admettre, je l’ai bien cherché.

Mon parcours professionnel n’a pas pu échapper non plus à l’environnement dominé par les blancs ce que j’ai vécu presque toute ma vie, et au final,  j’ai souvent vu et compris qu’il fallait être blanc pour occuper un poste décisionnel. Cela ne veut pas dire que les noirs n’y arrivent pas, la logique serait que le noir déploie dix fois plus d’effort pour faire ses preuves car la discrimination sélective (par défaut bien sûr) veut qu’en ce qui concerne le blanc, cela va de soi dans une même situation.

Bien sûr, j’ai appris que des noirs ont réalisé des choses prodigieuses, certains noirs se sont distingués, ils ont fait des inventions etc. mais c’est aussi dire sans se rendre compte que ces noirs évoluaient dans un monde dominé par les blancs, et une manière d’affirmer et d’accepter qu’effectivement une suprématie blanche, souvent discrète tenait les cordes du sort de certaines personnes juste parce qu’elles ont une couleur de peau différente.

Une fois j’ai demandé à une femme dans un hôtel à Saint-Domingue, pourquoi plus les postes sont importants et plus ils sont « blanchisés », elle m’a répondu que c’est probablement parce que les « moreno » n’aiment pas travailler dur. Et je luis dis, « alors tu crois que celui qui longe la Malecon à pieds à longueur de journée sous le soleil pour cent pesos la journée est un paresseux par rapport à celui qui passe sa journée dans des réunions d’affaire et qui fait ses trajets dans des voitures de luxe climatisées ? » Un haussement d’épaule a été la seule réponse à laquelle j’avais droit.

Je ne me rappelle plus le nombre de fois où j’ai été abordé dans des supermarchés de Santo-Domingo par des clients me demandant gentiment si je ne travaille pas dans les rayons. Toutefois, cela ne risquait pas d’arriver si je me trouvais dans une boutique de luxe sur la Malecon, la chance d’embaucher un « moreno » serait trop mince. Hé oui, cette nuance ils la maitrisent toute aussi.

Je vous assure pourtant, personne n’est venu me dire « hé toi, je ne veux pas voir ta tête ici, c’est un espace réservé aux blancs ! » Ça ne se fait pratiquement plus ! Mais la gentillesse voudra qu’on me demande calmement si j’aurai la capacité de payer tel ou tel article, ou alors, on refuserait de présenter telle ou telle gamme de produits sous peine de leur faire perdre leur temps. Mais je n’éprouve aucune fierté à lire la stupéfaction dans les yeux d’un.e  caissier.ère qui me voit présenter ma carte de crédit internationale pour régler mes emplettes.

« Le racisme constitue la voûte placée par-dessus votre tête, la limite qu’on vous impose à cause de la couleur de votre peau. »

Et même sans y faire attention, vous ressentez les vibrations du système, quand vous entrez dans un restaurant à Pétion-Ville et que les clients vous jettent des regards bizarres, des regards qui vous demandent qu’est-ce que vous venez foutre ici. Ou quand vous commandez une bière dans un bar à Paris, et que le serveur se sent un peu vexé parce c’est lui qui vous sert et pas l’inverse.

Je me rappelle comme si c’était hier, la fois où je me suis fait arrêter par la police sur la 27 Febrero accusé de faire illégalement du commerce sur les trottoirs alors que je sortais d’un magasin. Quand je me suis mis à protester, le chef de brigade s’est approché pour me demander en anglais, qu’il voudrait discuter avec moi, et quelle est la langue qui me convient le mieux. Croyez-vous qu’un américain blanc attirerait l’attention de la police dans une telle situation ?

Je me rappelle aussi la fois où quelqu’un m’a abordé dans un musée « El Museo de las Casas Reales » après avoir réglé mon casque de guide en anglais il me dit « have a good visit ». Quand je lui dis que je ne suis pas américain, mais haïtien, il n’a pas hésité à rétorquer que je viens sûrement de Pétion-Ville, et que je suis un de ces « moreno » qui évoluent parmi les riches mulâtres dans les hauteurs, car les haïtiens ordinaires ne viennent pas ici ! a-t-il ajouté.

A l’hôtel El Conde, qui héberge presque essentiellement des touristes européens blancs, je suis régulièrement confondu au personnel d’entretien au teint plus foncé que les barmen et les serveurs.ses.

Je ne peux pas dire que la France soit un pays raciste, toutefois, on ne se mélange pas vraiment comme presque partout ailleurs. Enfin, vous comprenez!

Ce n’est peut-être pas du racisme, mais se sentir comme une goutte de jus de citron dans un bol de lait par les regards que les passagers vous jettent dans un TGV de la SNCF parce que vous voyagez en première classe tout en étant noir, et qu’on vous évite comme si vous étiez une plaie infectée, je vous laisse deviner.

La première fois qu’un agent de police m’a demandé de présenter mon droit de transport dans le métro de Paris, j’étais le seul passager à subir ce contrôle. Ma curiosité m’a poussé à lui poser la question et il  m’a seulement répondu qu’il s’agit d’un contrôle aléatoire imposé par la procédure. Sa réponse était donc claire : la probabilité pour un homme noir de s’introduire illégalement dans la gare est nettement supérieure à un mec blanc en costard cravate qui rentre du boulot.

Dans le milieu professionnel, vu que j’ai eu essentiellement des expériences dans l’humanitaire, je croyais au départ que les agences humanitaires seraient bien au-dessus des comportements racistes de leurs personnels. J’ai en effet jamais entendu un noir se faire refuser un poste à cause de sa couleur (je ne dis pas que cela n’arrive pas), mais j’ai vécu durant plus d’une décennie des noirs en grande difficulté de s’intégrer dans une mission parmi le personnel d’habitude majoritairement blanc, ou alors faire asseoir les autorités d’un employé noir sur ses N-1 blancs.  Il existe cette lutte commanditée de pouvoir, le besoin de se faire remarquer, la nécessité de faire un kilomètre de plus pour se faire accepter parce qu’on est noir[…] Certaines agences établissent des règles rigoureuses pour sanctionner la discrimination raciale au sein de leurs staffs, cependant d’autres affichent sans gêne et en toute impunité la suprématie blanche sur les collègues noirs qui eux, soit ils acceptent la réalité, soit ils dégagent.

Je n’ai que quelques expériences du racisme, et c’est normal. Car aucun noir qui a vécu dans un pays où évoluent plusieurs groupes ethniques et qui a voyagé dans des pays blancs ne pourra prétendre ne pas avoir frôlé ce plafond de verre étalée sur sa tête, aucun noir n’osera admettre ne pas se rendre compte de sa couleur de peau grâce aux regards, aux traitements qu’il a pu quelques fois subir. Et beaucoup ont cassé ce verre, pour seulement se rendre compte qu’il y en a d’autres encore plus épais à affronter.

« Etre noir, c’est une lutte constante pour s’affirmer, des efforts supplémentaires pour mériter sa place : le racisme c’est ça ! »

Le racisme n’est pourtant pas toujours une démarche individuelle : j’ai beaucoup d’amis blancs, de très bonnes personnes qui ne jugent pas une personne selon son appartenance ethnique et qui dénoncent de toutes leurs forces le racisme et pour qui j’ai beaucoup de respect et d’admiration, mais qui se trouvent aussi confrontés au système quand ils ne veulent pas être un pion qui participe à l’épaississement du plafond de verre sur la tête de chaque homme.femme de couleur.

Et si vous croyez encore que le racisme c’est quelque chose de cosmétique, esthétique parce que les blancs n’aiment pas les noirs détrompez-vous. Ils veulent surtout refouler et maintenir le noir à la place qui lui convient.

Voilà !

Joseph LEANDRE

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