Alors que le pays n’a pas instauré de confinement, les adeptes de ce culte animiste estiment que chacun devrait accomplir un rituel pour que le virus n’entre pas chez lui.

La pandémie qui s’abat sur le monde est-elle une vengeance des dieux contre les hommes ? Un châtiment contre ceux qui ont osé défier la nature ? Au Bénin, cette idée se propage plus vite que le Covid-19. Dans le berceau du vaudou, ce culte animiste qui désigne l’ensemble des dieux et des forces invisibles que les hommes essaient de se concilier pour gagner leur puissance ou leur bienveillance, les pratiquants estiment que le coronavirus vient de la colère des divinités. Or, « quand on provoque la nature, elle réagit parfois violemment, assure Gabin Djimassé, historien et spécialiste de l’art vaudou. Le coronavirus est une punition de la nature contre celui qui la détruit ou la manipule génétiquement en pensant à son profit ou son ambition. L’homme se comporte en égoïste alors que la nature lui donne tout, mais la générosité a des limites », insiste ce spécialiste.

Au 7 avril, le Bénin comptait officiellement 26 cas officiels de contamination au Covid-19, dont un décès. Estimant que le pays n’a pas les « moyens » de confiner sa population, le président Patrice Talon a instauré un cordon sanitaire dans douze villes du sud du pays, dont Cotonou, la capitale économique, avec port du masque obligatoire. « Les pays riches débloquent des sommes faramineuses et certains ont même recours à des solutions monétaires à peine déguisées, voire à la planche à billets, pour prévenir le chaos socio-économique inévitable autrement, a indiqué le chef de l’Etat lundi 30 mars. Si nous prenons des mesures qui affament tout le monde, elles finiront très vite par être bravées et bafouées », a-t-il insisté pour tenter d’expliquer le pragmatisme de ses positions et éviter qu’elles soient perçues comme tièdes.

Alors même que de nombreuses voix s’élèvent tout de même pour dénoncer ce manque de mesures, d’autres s’interrogent sur le nombre peu élevé de contaminations en comparaison des pays voisins comme le Togo (65 cas, 3 décès) ou le Ghana (287 cas, 5 décès), qui ont adopté des mesures plus strictes : couvre-feu, état d’urgence…

Sacrifices et offrandes

« Pour le commun des Béninois, le virus n’est plus une menace mais une réalité, assure Dodji Amouzouvi, sociologue à l’université d’Abomey-Calavi. Mais la perception diffère selon les régions et la distance des foyers où des cas ont été détectés. Certaines personnes, notamment parmi les intellectuels, estiment que ce virus a été créé pour exterminer les parties les plus pauvres du globe et ainsi vider l’Afrique des Africains. D’autres pensent que cette maladie découle d’agressions faites à l’ordre naturel des choses et des principes qui régissent le monde. Ils voient le Covid-19 comme un châtiment de Dieu pour punir certaines mœurs comme l’homosexualité ou la course au progrès scientifique… ».

Au Bénin, terre où l’on estime souvent que par delà les religions catholiques ou musulmane auxquelles on peut adhérer, tout le monde est aussi adepte des religions traditionnelles. « Le vaudou est la réponse que nos anciens ont trouvée pour répondre philosophiquement à toutes les questions, explique Gabin Djimassé. Un adepte du vaudou considère qu’il y a une solution à tout problème à condition de respecter la nature, dans laquelle il puise sa force et sa dimension spirituelle. »

Ce culte, baptisé « vaudoun » en langue fon, serait né dans ce pays d’Afrique de l’Ouest il y a près de 4 000 ans, avant de franchir l’Atlantique dans les cales des bateaux d’esclaves puis d’essaimer, du Brésil à la Nouvelle-Orléans, jusqu’à la fin du XIXe siècle. Et même malgré cet essaimage, il dirige aujourd’hui encore le quotidien des Béninois volontiers, rythmé par des sacrifices (de chèvres, de poules…), des offrandes (fruits, bougies, coquillages…) ou des incantations à Olorun – dieu suprême insaisissable et omniprésent – à Shango – dieu du tonnerre, ou à Yemanja, déesse des eaux -.

De Ouidah, qui fut l’un des principaux ports négriers du continent africain, à Abomey, ancienne capitale du royaume du Dahomey, les habitants pensent qu’on meurt rarement d’une mort naturelle. Derrière une disparition se cache souvent un sort jeté par une femme jalouse, un voisin envieux ou un ancêtre oublié. Pour gagner une élection, un match de foot ou une conquête amoureuse, on va utiliser un grigri qui sera confectionné chez un « vodounon ». Les consultations chez les prêtres les plus renommés coûtent une fortune, mais l’espoir n’a pas de prix.

Gestes barrières et vin de palme

« Le coronavirus est un fléau scientifique que l’on peut éviter en suivant les recommandations thérapeutiques du vaudou, qui s’appuient sur la médecine traditionnelle, mais aussi sur les indications de l’oracle », affirme Dah Toafodé, chef de la lignée Gangnihessou des rois d’Abomey et éminente personnalité locale. Pour l’heure, la pratique de sacrifices est impossible, car les rassemblements dans tous les lieux de cultes sont interdits.

« En règle générale, les Béninois pensent que le coronavirus ne va pas progresser dans leur pays grâce au climat tropical et à la robustesse des habitants, explique Dodji Amouzouvi. Ils estiment aussi qu’il est possible de conjurer la maladie avec du sodabi [liqueur faite à base de vin de palme] ajouté à diverses plantes. Mais l’influence du vaudou est aussi très grande, car beaucoup estiment qu’en plus des mesures gouvernementales, il faudrait que chacun accomplisse un rituel pour que le virus n’entre pas chez lui. »

« Cela affecte nos comportements chaque jour, assure Hubert Agossougbété, un habitant d’Abomey. Comme personne n’a déclaré officiellement que le vaudou pouvait soigner le virus, il vaut mieux rester prudent et se laver fréquemment les mains, ne plus manger ensemble dans le même plat… » Dans un pays où les forces invisibles guident souvent le quotidien, les fameux gestes barrières semblent être largement appliqués. Mais à la question de savoir quand s’arrêtera l’épidémie, on vous répondra qu’il faut consulter le Fa, une divinité qui prédit l’avenir.

Pierre Lepidi

Source: https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/04/08/au-benin-les-adeptes-du-vaudou-ont-leur-explication-du-coronavirus_6036034_3212.html

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