Le nouveau Code Pénal publié le 24 juin par le président de la République, Jovenel Moïse a suscité une vague de réactions au niveau de tous les secteurs de la vie nationale en Haïti. Des hommes de loi, des juristes, des organisations des Droits Humains ainsi que le secteur religieux ont fait valoir leurs points de vue et leurs inquiétudes à l’égard de ce document.
Ce nouveau code pénal dont l’adoption n’a pas été sanctionnée par le Parlement et qui n’a fait l’objet d’aucun débat dans la société haïtienne, est devenu la cible de nombreuses critiques telles la dépénalisation de l’avortement, la légalisation de l’homosexualité, la pénalisation de l’homophobie, l’apologie de la pédophilie et la zoophilie, la légalisation de l’inceste, la légalisation de la prostitution (de mineur), etc. C’est du moins les interprétations prêtées à certains textes de ce code pénal par les secteurs susmentionnés.
Le secteur religieux qui a vivement protesté contre ce nouveau document soutient que ces lois ne reflètent pas les coutumes et les valeurs du peuple haïtien, et sont surtout en contradiction avec la morale chrétienne et œcuménique auxquelles sont attachés les haïtiens.
En plus des déclarations de certains dirigeants de la Fédération de l’Eglise Protestante, en particulier le Révérend Pasteur Gérald Bataille qui a fait circuler une note accusant les pays occidentaux, tel le Canada à vouloir imposer leurs cultures et coutumes au peuple haïtien, venait aussi le tour de l’Eglise Catholique qui, à travers la Conférence Episcopale d’Haïti (CEH) a rendu publique une note le 3 juillet pour protester contre ce décret.
« Ces décrets, selon les dispositions de certains articles, touchent l’essence même de notre humanité, de notre culture, de notre foi et de notre société. Ils ne devraient pas être promulgués sans une consultation préalable de ceux pour qui ils ont été élaborés… »
« Et quand c’est l’essence et la vie même d’une nation qui sont atteintes par ces décrets dont des éléments nous sont étrangers, nous sommes en droit de protester de toutes nos forces. Et de fait, nous protestons de toutes nos forces contre le projet de loi portant sur le nouveau Code pénal, proposé par le Pouvoir exécutif sans consultation ni débats préalables, sans implication des citoyens et des forces morales et spirituelles de la société haïtienne. Cela risque de saper les bases mêmes de notre démocratie déjà chancelant »
soussignent une dizaine de prêtres dont le Cardinal Chibly Langlois.
Suite à ces protestations, le président Jovenel Moise a fait savoir qu’il comprend le débat occasionné dans la société par la publication de ce code pénal, en y voyant un engagement citoyen important. Il a alors chargé son Premier Ministre, M. Jouthe Joseph de rencontrer les secteurs concernés autour de la question.
« L’heure n’est pas à la confrontation mais au dialogue et à la sérénité. La publication du Code pénal a suscité un débat très animé. C’est un signe encourageant de l’engagement citoyen. Je demande au PM de rencontrer les différents secteurs concernés autour de cette question », a tweeté le président Jovenel Moïse, lundi 6 juillet 2020.
Le Premier Ministre haïtien, sulfureux et volcanique comme d’habitude, en profite pour exhorter l’Eglise Catholique qu’elle est mal placée pour donner des leçons à l’Etat haïtien, et rappelle que Haïti est un Etat laïc.
Interrogé par le quotidien haïtien Le Nouvelliste, le Premier Ministre Joseph Jouthe a déclaré :
« Je ne veux pas faire de leçon à l’église catholique. Mais il faut que l’église catholique sache qu’elle fait de la religion. En Haïti, tout le monde n’est pas catholique. Nous sommes un Etat laïc. Le job de l’Etat est de protéger les minorités. C’est son plus gros job. »,
« … Nous ne parlons pas de religion, nous ne parlons pas de la morale, nous parlons de loi, de politique et de protection d’une population. »
« Je sais que la plus grande préoccupation de l’église est la dépénalisation de l’avortement … Moi, j’invite l’église catholique à prêcher au sein des assemblées pour que les fidèles ne tombent pas enceintes en dehors du mariage, pour éviter les grossesses non désirées et les avortements »
C’est quoi alors la Laïcité ?
La Laïcité est définie comme l’impartialité ou la neutralité de l’Etat à l’égard des confessions religieuses. En général, cette impartialité s’accompagne d’outils juridiques, des textes de lois qui garantissent la liberté de tout citoyen de professer sa foi sans avoir à s’inquiéter.
En effet, en Haïti, la constitution de 1987, en sa Section D intitulée De la Liberté des Cultes stipule :
ART 30 : Toutes les religions et tous les cultes sont libres. Toute personne a le droit de professer sa religion et son culte pourvu que l’exercice de ce droit ne trouble pas l’ordre et la paix publics.
ART 30.1 : Nul le peut être contraint à faire partie d’une association ou à suivre un enseignement religieux contraire à ses convictions.
ART 30.2 : La loi établi les conditions de reconnaissance et de fonctionnement des religions et des cultes.
Faut-il bien remarquer que ces textes de loi concernent l’exercice de droit individuel de tout citoyen dont l’Etat a l’obligation d’assurer le plein exercice. Les responsabilités et la position de l’Etat vis-à-vis de la laïcité se révèlent encore plus démonstratives que les lois garantissant la liberté de culte. Il faut aussi dans la pratique que l’Etat évite de prioriser une religion quand il s’agit d’avoir recours aux institutions religieuses dans des situations données.
Mais si la laïcité s’oppose à la reconnaissance d’une religion d’Etat, les pratiques de l’Etat haïtien vis-à-vis des religions ne sous-entendent pas les mêmes niveaux de considération pour les différentes professions en exercice dans le pays. Ce qui pourrait amener à croire que le Premier Ministre s’est trompé en maîtrisant fort mal les traditions observées depuis plus deux siècles par l’Etat dont il fait partie.
Le fait de garantir à chaque citoyen le droit de choisir librement sa profession de foi n’est pas de la laïcité, c’est le droit à la liberté de culte.
Haïti n’a jamais été un pays laïc.
En Haïti, si toutes les confessions religieuses ont droit à des visites des candidats aux élections présidentielles, les cérémonies d’installation des nouveaux chefs d’Etat s’accompagnent toutefois d’un Te Deum, une messe d’Action de Grâce célébrée exclusivement dans des cathédrales, et souvent présidée par les plus hautes autorités de l’Eglise Catholique.
Le Te Deum, cette cérémonie traditionnelle réalisée dans le cadre des commémorations des fêtes officielles et les grandes cérémonies d’Etat se réalise dans des cathédrales en Haïti.
Jamais, une cérémonie officielle quelle qu’elle soit n’a eu lieu dans l’enceinte d’une église protestante, une mosquée ou dans un péristyle en Haïti, et jamais une prestation de serment n’a eu lieu par imposition des mains sur le Coran ou un mouchoir rouge ou un tchatcha, c’est toujours une bible en références aux pratiques retenues depuis l’époque coloniale. Et cette exclusion est l’expression du poids des décisions, des volontés et des influences de l’Eglise Catholique dans les affaires de l’Etat en Haïti depuis des siècles.
Les privilèges (immobiliers, franchises, etc.) accordés au secteur religieux catholique à travers notamment les congrégations expriment la relation symbiotique entre l’Etat et l’Eglise sans oublier qu’au niveau de l’éducation, bon nombres d’établissements scolaires publics qui reçoivent des subventions de l’Etat haïtien sont gérés par le secteur catholique.
Espérons que la prochaine investiture présidentielle s’organisera dans un espace neutre où tous les chefs religieux du pays puissent présider en même temps, ou alors une simple cérémonie civile sans l’autorité d’un évêque pour valider le pouvoir du chef de l’Etat.
Par Joseph LEANDRE
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