Quand on frappe à ma porte, je n’ai pas envie d’aller ouvrir,  je propose à ma femme d’y jeter un œil. Je suis sous pression : quand quelqu’un passe devant chez moi, l’air un peu bizarre, la pression monte car je ne sais pas ce qu’il vient y faire. Je me mets à réfléchir à des tas de choses…

… j’ai vu des hommes sortir de Simon lourdement armés, alors que des gens pillaient la AutoPlaza, et ces hommes ont ouvert le feu sur les pillards, beaucoup ont essayé de fuir…

Je prenais du recul et  m’abritais dans une ruelle près de la route, derrière un mur avec mon chauffeur de taxi moto en guise de cachette. Je me suis mis alors par terre pour prendre quelques images, car quelle que soit la situation, nous les photographes essayons quand même d’obtenir des images. Je voyais que ces hommes s’approchaient dans ma direction, je continuais quand même à prendre des images, et c’est alors que j’ai vu ces hommes, très confortables, prenaient aisément le temps de trainer les cadavres de leurs victimes par terre et traverser la rue, ils étaient plusieurs à trainer plusieurs cadavres.  En voyant cette scène, j’ai fait une rapide réflexion pour dire que si je reste dans cette cachette et me laisser découvrir par ces hommes, ils me tueront. C’est alors que j’ai proposé au chauffeur de taxi moto de nous enfuir…

Trois ou quatre jours après, j’ai reçu l’appel d’un journaliste lié à ces gangs, qui me dit que l’un des chefs du G9 demande à me voir. Je lui ai demandé s’il est vraiment sûr de ce qu’il dit, mais il persiste que oui, c’est bien moi que le chef réclame. Je lui ai demandé quel nom il demandait, il continue pour préciser que c’est Dieu-Nalio Chéry. Il précise aussi pour dire qu’avec la technologie, il [le chef] a pu réussir à voir quand je fuyais et en plus il a vu mon nom sous les photos que j’ai  prises. J’ai posé d’autres questions pour être sûr qu’il s’agissait effectivement de moi.

Puis la situation m’a beaucoup plus tracassé, et la pression montait encore plus. Je réfléchissais tout seul, car je ne pouvais pas partager une telle  situation avec ma femme. Et je me demandais, pourquoi fallait-il que cela m’arrive à moi ? Je ne savais pas comment m’y prendre ?

Je suis très remarquable partout en Haïti. Je me suis mis à recevoir des appels anonymes. Des gens qui raccrochent une fois que je suis identifié au téléphone, je faisais aussi objet d’autres cas d’intimidation par téléphone, parfois des gens qui voulaient savoir si je comptais couvrir la prochaine manifestation pour se mettre à me surveiller.

J’ai enfin pris la décision en me disant que je ne suis pas prêt à mourir, surtout qu’il n’y a pas de justice dans ce pays. Il n’y a nulle part où déposer une plainte, je ne pouvais pas déposer une plainte à la Police pour dire que ma vie est en danger et que j’ai besoin d’aide, car même les policiers ne sont pas en sécurité, alors j’ai pris la décision de laisser le pays pour un certain temps.

Tels sont les propos du photo journaliste confiés à KitMédias. Dieu-Nalio Chery est un jeune journaliste et reporter photographe haïtien qui travaille depuis 2012 pour Associated Press, obligé de laisser le pays pour échapper à la menace des gangs armés à Port-au-Prince.

Joseph LEANDRE

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