L’OTAN a apposé son sceau sur une nouvelle guerre froide. La réunion de Madrid de ce bloc militaire (30 juin 2022) a convenu de sa vision et sa mission pour la géostratégie euro-atlantique. Comme il s’agit d’un monde hautement interconnecté, ces décisions ont un impact sur l’architecture de sécurité internationale. Ces mesures interviennent dans le sillage de l’agression russe contre l’Ukraine, et l’OTAN veillera à ce que l’Ukraine continue de mener cette guerre d’usure, quel qu’en soit le prix. Le nouveau Concept stratégique 2022 de l’OTAN explique comment ils envisagent de construire l’ordre mondial pour les dix prochaines années.

L’OTAN met en évidence trois menaces principales : la Russie comme « la menace la plus importante et la plus directe » pour le bloc euro-atlantique. La deuxième menace est la Chine car ses « politiques coercitives défient nos intérêts, notre sécurité et nos valeurs » et c’est un concurrent stratégique à long terme. L’OTAN est particulièrement préoccupée par les tentatives de la Chine de « projeter sa puissance » à l’échelle mondiale (apparemment, seule l’OTAN a le droit légitime de le faire). L’approfondissement du partenariat stratégique entre la République populaire de Chine et la Russie est considéré avec consternation. Implicitement, le partenariat stratégique outre-Atlantique est bénin. La troisième menace est le terrorisme, vestige de la phase précédente de la « guerre mondiale contre le terrorisme ». D’autres menaces plus petites comme l’Iran, la Corée du Nord, la Syrie sont les extras auxquels on peut faire face.

La réunion de Madrid suite à celle du G-7 a montré l’unité des membres du bloc. Tous les membres partagent un militarisme enthousiaste et la nécessité d’une nucléarisation renouvelée. L’OTAN propose d’augmenter le nombre de forces pour l’Europe à plus de 300 000 (sept fois plus). Un grand nombre de forces à haut niveau d’alerte et de nouvelles bases seront déployées dans les États membres impatients que sont la Bulgarie, la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie, ainsi qu’un nouveau siège permanent de l’OTAN en Pologne. Cela implique qu’il y aura une répartition des responsabilités entre les alliés de l’OTAN : l’Union Européenne sera chargée de décimer la Russie en ajoutant des fonds américains supplémentaires aux siens. Les États-Unis affronteront la Chine, leur adversaire favori, dans tout l’Indo-Pacifique, tandis que la menace terroriste laisse une marge de manœuvre aux alliés dans tout le Sud global. Ils se préparent à maintenir la guerre en Europe aussi longtemps qu’il le faudra.

Le soutien à l’entrée dans l’OTAN de la Suède et de la Finlande, qui renoncent avec empressement à leur position de neutralité (une fois que la Turquie aura donné le feu vert), revêt une importance particulière. Cela signifie des installations de défense sur deux autres frontières immédiates de la Russie. La réaction russe à cela a été froide car le président Poutine a déclaré que la Russie n’avait aucun différend frontalier ou de quelque nature que ce soit avec ces deux voisins contrairement à sa ligne rouge avec l’Ukraine, il n’y a donc aucun problème avec ça. C’est une victoire pour l’OTAN.

L’OTAN considère la sécurité maritime comme essentielle et estime indissociables la sécurité de l’Europe et l’Indo-Pacifique. Pour assurer cette liaison, des alliés de l’OTAN comme le Japon, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la Corée du Sud ont assisté aux événements de Madrid. Il ne peut y avoir d’équivalent de l’OTAN dans l’Indo-Pacifique, car les pays asiatiques ont des intérêts divers et ne veulent entrer dans aucune arène concurrentielle de confrontation avec la Chine. Mais des événements parrainés par l’OTAN comme l’exercice Rim of the Pacific Military (RIMPAC) seront accélérés, tout comme des groupes plus petits comme AUUKUS, Five Eyes, Quad.

Ce que l’OTAN implique

La réunion stratégique de l’OTAN et le document indiquent que les dirigeants européens conviennent que les intérêts nationaux des États-Unis sont aussi les leurs. Et ce sont les intérêts communs de toutes les démocraties contre les autocraties qu’elles veulent éviter et en tout cas ne croient pas à un ordre fondé sur des règles.

Les politiques de l’OTAN reflètent pleinement les documents néoconservateurs américains et divers documents de sécurité nationale américains qui prônent sa primauté sur la terre, la mer, l’espace, le cyberespace et tout le reste. Pour ce faire, la Russie doit être isolée et la Chine doit être contenue. L’OTAN le dit en plusieurs mots. Elle insiste sur le fait qu’elle est prête pour une confrontation hybride.

En termes matériels, c’est l’UE qui a bénéficié du commerce énergétique avec la Russie. Le contrôle du pétrole et des guerres qui l’entourent a toujours été la responsabilité des États-Unis. Le contrôle des hydrocarbures a été à l’origine des interventions américaines dans les conflits en Asie occidentale. Maintenant, ces guerres ont atteint l’Europe même. Le pétrole de fracturation coûteux des États-Unis remplacera les approvisionnements énergétiques russes.

Les documents stratégiques américains sous Biden déclarent qu’ils se sont éloignés des «guerres éternelles». La vérité est qu’une phase nouvelle et plus dangereuse des guerres éternelles a commencé. Les « guerres éternelles » précédentes étaient contre des pays délabrés, des anciennes colonies, pauvres et riches en ressources. Les nouvelles guerres froides, pour commencer,  sont orientées contre de grands challengers.

La Chine n’a pas été considérée comme une menace par l’Europe, contrairement aux États-Unis, qui ont une profonde sinophobie ces dernières années. Cela est évident dans le précédent document de Lisbonne de l’OTAN. Sur cette base, l’Europe a salué l’initiative chinoise de la nouvelle route de la soie qui permet l’expansion de l’industrie chinoise. Maintenant, l’OTAN exige que ces chaînes d’approvisionnement soient modifiées. De même, l’Europe a principalement des accords commerciaux avec l’Indo-Pacifique. Ce document propose une liaison maritime militarisée entre l’Euro-Atlantique et l’Indo-Pacifique.

Les intentions de l’OTAN sont un reflet stratégique de l’hégémonie américaine. Malgré tous leurs discours sur un monde unipolaire, les stratèges américains se rendent compte que la multipolarité est en train d’émerger. C’est pourquoi les sanctions échouent et une grande partie des pays du Sud ont opté pour la neutralité en Ukraine, comme ils le feront dans la nouvelle guerre froide. Un ordre mondial polarisé va à l’encontre des intérêts du développement et de la souveraineté. Avec les derniers engagements de l’OTAN, les États-Unis peuvent désormais s’appuyer sur les épaules européennes pour atteindre leurs objectifs de primauté.

Les États-Unis ont effectivement freiné les désirs d’autonomie stratégique de certains États européens puissants, ce que la boussole stratégique 2022 de l’UE cherchait à projeter. L’agression russe a fourni aux États-Unis l’alibi parfait pour ces objectifs. Il est difficile d’ignorer les arguments de divers stratèges bien connus tels que Kissinger, Mearsheimer, Jeffrey Sachs, ainsi que Chomsky et d’autres, selon lesquels les Russes ont mordu à l’hameçon. Mais les Européens aussi. Même s’il s’agit d’une théorie du complot, force est de constater que ce sont principalement les Américains qui profitent des nouveaux engagements de l’OTAN, du militarisme et du nucléarisme.

L’Europe fait les frais de la sécurité humaine dans une Ukraine dévastée. L’OTAN ignore le coût humain et matériel de cette guerre en Ukraine et les coûts collatéraux que les sanctions infligent à des millions de personnes dans les pays du Sud. Même s’ils parlent de militarisation verte, de sécurisation du commerce des armes et de lutte contre le changement climatique, le coût sera élevé pour les populations du monde entier. Malheureusement, la direction de l’OTAN tourne une fois de plus le dos au peuple.

Source : Sinpermiso
Traduction française Joseph LEANDRE
pour Réseau International

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