Un vieux hangar abandonné juste en-dessous de la ligne R141, le métro qui relie la Croix-des-Bouquet à Léogâne abrite un labo, une cellule remplie de pièces hétéroclites de modèles disparus d’appareils électroniques et surtout munie d’un émetteur à basses fréquences, et d’autres systèmes analogues qui n’existent plus.

Il s’agit de la propriété d’une certaine Marie-Clarette Jules, une vieille femme originaire du Cap-Haïtien qui a pu assister depuis son plus jeune âge à l’installation des dispositifs de sécurité du NS et qui a pris plaisir, au péril de sa vie à les pirater et à contourner les pare-feu en prenant bien le soin de cacher sa présence sur le système. Aujourd’hui, elle arrive à maîtriser les mises à jour en temps réel des protocoles de sécurité au même titre qu’un administrateur de haut niveau au sein du gouvernement.

Elle a installé dans son labo une sorte de réverbère qui réfléchit les rayons du HT5-277 durant le scan de contrôle sans créer d’interférences.

Avec calme et assurance, elle manie dans une poussière noire une vieille boîte en carton remplie d’anciennes photos, de livres, de revues, et quelques clés USB (Universal Serial Bus) qui n’existent plus de nos jours d’ailleurs, des coupures de journaux en français et en créole, etc. Cette vieille boîte à été retrouvée dans une cave à l’emplacement du cimetière de Port-au-Prince, où des partisans et fanatiques des anciens régimes essayaient de préserver illégalement des documents durant la campagne de désacralisation. Cette boîte, et autres pièces justificatives de l’existence de ces gouvernements et leurs chefs, est le vestige des douleurs insoupçonnées du peuple haïtien durant les décennies passées sous la méchanceté, la médiocrité de ses dirigeants, et surtout la rage et le mépris que ces personnalités inspiraient au peuple à ces époques passées de l’histoire.

D’autres boîtes sont aussi enterrées un peu partout dans le pays, c’est comme une réaction réflexe de survie typique d’une civilisation qui savait qu’elle allait disparaître: l’instinct de survie. Il faudra des efforts supplémentaires à la vieille dame pour les retrouver avant les patrouilleurs du NS qui auront l’obligation de les détruire définitivement.

Complètement inconnues pour la génération d’alors, il est impossible pour la vieille dame d’identifier les personnes sur les photos. Elle se résout alors à les accrocher à un grand tableau et continue à fouiller dans les piles de journaux afin de trouver des noms et des extraits d’histoires à associer aux images.

Le fond assombri de la boîte offre un spectacle de photos entremêlées telle une véritable pile d’immondices en modèle réduit comme en pouvaient reconnaître les habitants de Port-au-Prince dans les années 2020 sur la route de Tabarre ou au bas du marché de la Croix-des-Bossales. (Le marché de la Croix-des-Bossales est un célèbre marché publique haïtien à Port-au-Prince ouvert en 1503 par des colons esclavagistes qui y vendaient essentiellement des esclaves noirs et qui a été détruit sous les recommandations du Ministère de la Santé Publique pour non-respect des normes sanitaires en 2042).

Des fronts se dessinent progressivement dans la poussière. Cette saleté donnait du ton aux visages et aux regards froids pour la plupart qui contrastent avec des airs satisfaits de personnages confortables dans l’autosuffisance au mépris de la misère des plus faibles. Il y a des physionomies qui racontent des histoires, rien que des regards et des sourires qui charrient des décennies événements que le NS prétendait pouvoir enterrer pour toujours.

Il faut quand même en choisir une, bien que celle-là, même avec la vision affaiblie de la vieille, elle ne pouvait pas la rater. Cette photo laisse en effet apparaître un visage enfoui dans la saleté au bas fond de la boîte crasseuse, avec un peu de crotte de rat en plein dans la bouche, ce personnage a ses photos qui partout dérivaient, parfois en costard cravate, et parfois en sous-vêtements de femme à moitié nu au-dessus d’un mobile sonorisé à divertir des pervers comme il devait en avoir beaucoup à l’époque. Il y a lieu de croire qu’il s’agissait du fou le plus populaire de son temps. Mais non! Un gros titre de journal vient de l’identifier par un deuxième mandat! « Le deuxième mandat de Michel Martelly. »

Ensuite surgit une pancarte sur laquelle est inscrite l’interrogation « KOT KOB PETRO KARIBE A? » Beaucoup d’autres photos montrent des jeunes brandir des banderoles et des écriteaux avec ce fameux slogan. Cette phrase a dû marquer un événement important, cela vaut la peine de l’épingler en attendant d’en savoir plus.

D’autres photos ont défilé sous les yeux de la vieille femme, des personnalités importantes de l’époque comme certaines autres qui ne valent pas vraiment la peine telles des visages comme celle d’un ancien secrétaire d’état à la communication qui était plus tard devenu ministre de la communication, et qui selon des extraits avait l’habitude de justifier même aux dépends de la population haïtienne, des actions crapuleuses du gouvernement.

Il arrive aussi un autre nom, celui d’un dénommé Gaillot Dorsainvil, à voir les textes qui accompagnent son nom, on doit comprendre qu’il a dû faire quelque chose de très odieux pour qu’on puisse lui en vouloir autant. Mais on ne comprend pas pourquoi il n’a pas été arrêté et jeté en prison. Il faut s’attendre à ce que son histoire se trouve dans cette paperasse. Espérons-le…

Est apparue ensuite le visage d’un homme à la barbe grise, le front carré, dans une chemise élégante et non prétentieuse. On ne sait pas qui c’est. Le regard un peu incertain donne l’impression de quelqu’un qui éprouve du mal à se séparer d’une bouteille déjà vidée. Mais vu le nombre de fois que son image apparaît dans le lot de journaux, il devait s’agir de quelqu’un d’important. Cette personnalité vaut la peine d’être épinglée au tableau en attendant de trouver son nom et bien sûr son histoire.

Une autre tête est apparue, cette fois il y a un nom inscrit au bas de sa photo, il s’agit de Rudy Hérivaux. On ne va pas trop s’attarder là-dessus, on la fixe quand même au tableau, la vieille semble soupçonner qu’il n’y a pas vraiment d’histoire à succès qui puisse accompagner une telle tête.

Cet homme au teint clair est vite identifié, son nom arpente tel un athlète les recoins de la boîte. Il s’appelle Laurent Lamothe. L’histoire ne se rappelle pas grand-chose à son sujet on dirait. Il va falloir fouiller davantage, mais seulement dans ses yeux, on peut facilement deviner qu’il avait de grandes visions et de grands moyens, mais en même temps l’esprit coincé tel un le brassard crasseux d’un capitaine déchu abandonné dans les vestiaires imaginaires de pas moins de 25 stades.

Celui-là lance un regard électrique. Il était sûrement obsédé par le phénomène du courant toute sa vie. Il devrait être ingénieur ou alors il aspirait fortement à le devenir quitte à mentir pour obtenir le titre. Ce personnage doit être intéressant, il devait avoir beaucoup d’histoires à raconter. Et en voyant ses lèvres qui ne font manifestement pas la différence entre respirer et mentir, celui-la a dû être un potentiel artisan de la misère du peuples les années antérieures. On verra bien.

Jeune, bien habillé, et une très bonne présentation en public, on pourrait dire qu’il a été président toute sa vie tant que son image est impressionnante et soignée. En effet oui, voilà l’extrait d’un article qui parle de sa présidence. C’est une silhouette qui ne trompe pas. Le peuple l’appelait affectueusement Ti Nicolas. Nous aurons beaucoup à apprendre de ses piètres réalisations à la tête du pays.

Un regard bienveillant et un visage souriant. Coiffé d’une toque, on croirait qu’il est encore à l’école. Il était peut-être l’exemple parfait d’un homme alphabétisé tard dans sa vie et qui a quand même connu le succès, on n’a pas pu voir son nom, mais en y faisant attention, on peut lire avec peine que son prénom était quelque chose comme Jean-Bertrand. Cet homme a probablement eu une influence énorme sur son époque, peut-être qu’il n’a pas été président ou premier ministre ou un grand écrivain, mais on va quand même creuser en ce qui le concerne, ce sera l’opportunité d’apprendre aux enfants qu’au milieu d’un chaos, il peut quand même y avoir des hommes qui se distinguent grâce à la connaissance. Mais on ne sait jamais, les résultats des recherches sur son profil peuvent surprendre…

La vieille n’a presque plus de photos propres à identifier. Le reste est pratiquement sale et illisible. Ce n’est quand même pas facile de ressusciter des fantômes indésirables en toute dignité se dit-elle.

D’illustres intellectuels inutiles ont toutefois défilé entre les doigts de la dame, des noms comme Guichard Doré, Wilson Laleau, Marie Gretta Roy Clément, etc. De brillants invalides avec des spécialités impressionnantes dans le pas sur place, dans une parfaite relation symbiotique avec des gouvernements corrompus, médiocres et sous-évolués.

Elle pense tout au fond d’elle-même que durant toute cette période, il a bien eu plusieurs présidents, des premiers ministres et autres grandes personnalités civils et politiques qui n’ont probablement servi à rien à cette nation, et se demande surtout ce qu’ils ont dû bien faire pour que le monde les jette aux oubliettes.

Après avoir identifié certains visages, se dit-elle d’un air satisfait tout en repoussant la boîte et fixant du regard les photos au tableau, c’est maintenant l’heure des chronologies: alors messieurs allons donc voir ce que l’histoire a bien pu retenir de vous!

Joseph LÉANDRE

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